mardi 26 juin 2012

Les catholiques de gauche (1) : La "nouvelle chrétienté"

Jacques Maritain se désignait lui-même comme un homme de gauche.

« La gauche, écrivait Gottfried dans l’article sur les catholiques de gauche dont il a déjà été question sur ce blogue, c’est le relativisme culturel qui assure à nos chères petites têtes blondes, que la civilisation chrétienne vaut le monde arabo-musulman ou les cultures africaines. Je précise que nous sommes censés construire la Cité catholique et non une cité multiculturelle et pluri-religieuse[1]. »

« Construire la Cité catholique… »
« Nous sommes censés construire la Cité catholique. » Cet impératif n’est pas sans rappeler les paroles que les membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne entonnaient sur l’air célèbre du cantique « Nous voulons Dieu » : « Nous voulons qu’il se fasse en France/Un grand retour en chrétienté/Unis dans cette tâche immense/Plantons la Croix sur la cité. » Et en effet il s’agit d’un vocabulaire qui rappelle le pontificat de Pie XI, qui avait fait de la promotion d’une « nouvelle chrétienté » l’une de ses priorités. Dès sa première encyclique, Ubi Arcano, Pie XI s’employait à encourager la reconstruction d’un ordre social chrétien qui faisait encore l’objet de son encyclique de 1925 Quas Primas sur la royauté du Christ.
Ce que Gottfried omet de rappeler, c’est que la louable ambition d’une nouvelle chrétienté, d’une cité respectueuse des droits de Dieu, fut en son temps également une ambition catholique de gauche ; et ce n’est probablement pas un hasard si le thème de la nouvelle chrétienté connut en France un essor prodigieux dans le sillage de la condamnation de l’Action française, et fut porté surtout par les mouvements d’Action catholique, inspirés par la pensée de Jacques Maritain. Certes ; ce catholicisme de gauche n’a rien de comparable avec celui que l’on peut connaître aujourd’hui, et l’itinéraire ultérieur de Maritain, se dressant contre l’ « apostasie immanente » de la gauche chrétienne dans Le Paysan de la Garonne (1965) et se désolant dans sa correspondance avec le cardinal Journet de la disparition du latin dans la liturgie, semble en témoigner. Il n’en reste pas moins que le même Maritain, jusque dans Le Paysan de la Garonne, n’a pas cessé de se désigner comme un « homme de gauche », et d’affirmer sa proximité dans les choses de César avec cette gauche chrétienne qu’il désapprouvait tant dans les choses de Dieu. C’est donc que les choses sont vraisemblablement plus complexes que ne l’écrit Gottfried, dont le tableau assez caricatural s’explique peut-être par les besoins de la polémique.

La nouvelle chrétienté, un thème d’avant-garde sous Pie XI
En effet, si le discours que pouvait tenir dans les années 1930 un journal comme l’hebdomadaire dominicain Sept n’était guère révolutionnaire, il n’en constitue pas moins l’expression d’une certaine gauche catholique, celle de Jacques Maritain ou de François Mauriac, qui luttent contre l’influence de l’Action française et prennent position contre Franco lorsqu’éclate la guerre d’Espagne. Des historiens ont montré combien cette gauche catholique, marquée à cette époque par le double refus du libéralisme et du socialisme, porte l’empreinte du catholicisme intransigeant dont elle est issue[2]. Et, pour radicale qu’ait été l’évolution ultérieure de ces mouvements, peut-être n’est-ce pas un hasard si l’idéal de la nouvelle chrétienté fut porté avant tout par les mouvements d’Action catholique, et passait alors pour un thème d’avant-garde.
Il est vrai que l’union de vocabulaire des catholiques intransigeants dans la proclamation de la nouvelle chrétienté reposait sur bien des équivoques. La différence tient à ce que l’on entend par « nouveau » : tandis que les uns entendaient revenir à ce que Maritain appelait la « société sacrale », d’autres au contraire, Maritain en tête, estimaient cette société définitivement révolue et rêvaient donc d’une « chrétienté profane » où fidèles et infidèles sont unis autour d’un même bien commun temporel. Ce n’était pas sans conséquence. « Le rôle des chrétiens, note Denis Mestre dans Catholica, devient alors un rôle d’animation[3]. » Les chrétiens, selon les propres mots de Jacques Maritain dans Humanisme intégral, doivent susciter « une force nouvelle et temporelle d’inspiration chrétienne capable d’agir sur l’histoire et d’aider les hommes ». La cité chrétienne telle que la concevait Maritain, ce pouvait donc être à ses yeux la « cité multiculturelle et pluri-religieuse » que dénonce Gottfried, non sans raison sans doute dans une certaine mesure, mais sans chercher à comprendre d’où viennent les travers souvent bien réels qu’il relève chez les « cathos de gauche ». Car s’il est loisible de relever, comme le fait Denis Mestre, la falsification de la doctrine thomiste à laquelle Maritain a pu se livrer pour justifier son idée de chrétienté profane, il n’en est pas moins parfaitement faux de déclarer que les catholiques de gauche, à l’origine, n’ont pas prétendu construire, eux aussi, la cité catholique – ils ont simplement voulu le faire à leur manière, qui n’était peut-être pas la bonne.

Louis-Marie Lamotte

(A suivre)


[2] Il en a été assez longuement question sur Contre-Débat :


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