vendredi 8 juin 2012

Bref tour d'horizon de la discographie de Hasse (4) : Le premier récital lyrique consacré à Johann Adolf Hasse – Hasse Reloaded, par Valer Barna-Sabadus






Cela mérite d’être signalé : le premier récital entièrement consacré à Hasse (à l’exception d’un air, inséré par Porpora dans l’Artaserse londonien de 1734) vient de paraître en France, il y a un ou deux mois à peine. L’initiative en revient au contre-ténor Valer Barna-Sabadus et au chef d’orchestre Michael Hofstetter, qui se trouvaient déjà au cœur de la recréation contemporaine de la Didone abbandonata de 1742, dont il a déjà été question sur ce blogue.





Composition du récital : rien de bien nouveau

     Le programme s’en ressent d’ailleurs très fortement. Il comprend en effet la Sinfonia d’ouverture et quatre airs de Iarba, déjà chantés par le même Valer Barna-Sabadus dans l’intégrale (si l’on peut dire, au vu des coupes sauvages pratiquées dans l’œuvre) donnée à Munich, puis à Versailles. Il faut y ajouter la cantate La Gelosia de 1762, déjà enregistrée par Véronique Dietschy et l’ensemble Stradivaria en 1986, et l’aria Or la nube procellosa de Nicola Porpora, enregistrée par Vivica Genaux dans son récital Farinelli. Au vu de l’immensité presque inexplorée du répertoire de Hasse et de l’opera seria de l’époque galante en général, un tel programme s’avère aussitôt décevant, d’autant plus que les airs de la Didone figureront dans l’intégrale qui devrait être publiée sous peu chez Naxos : le récital ne donne pas à entendre d’inédits, et l’on peut s’interroger sur la pertinence du choix d’une cantate, malgré son caractère fortement opératique, en complément d’airs d’opera seria. Néanmoins, puisqu’il s’agit à ma connaissance du premier véritable récital entièrement consacré à Johann Adolf Hasse, et que le principal interprète n’a pas caché son désir de faire la promotion du compositeur, l’entreprise mérite qu’on s’y arrête.


Quatre airs de la Didone abbandonata

     En effet, même si l’on ne peut qu’être déçu de l’absence de véritables inédits, qui auraient révélé la variété de la musique lyrique du Saxon en puisant dans ses nombreux opéras, il faut reconnaître que les pages choisies sont fort belles. Le disque s’ouvre par la Sinfonia introductive de la Didone abbandonata. Il s’agit d’une ouverture à l’italienne, en trois mouvements (vif-lent-vif), qui se distingue par le relief particulier avec lequel sont traités les cors, avec un mouvement central typiquement galant et un mouvement final dansant. Michael Hofstetter et sa Hofkapelle de Munich s’y révèlent tout à fait convaincants. L’orchestre est alerte, précis et coloré, et donne l’impression de prendre au sérieux la musique qu’il interprète, ce qui est très agréable.
     Suivent les quatre airs de Iarba extraits de la Didone. Le premier, « Tu mi disarmi il fianco », est une aria à tempi alternés où le personnage, désarmé par Enée, déclare superbement n’être pas encore vaincu. L’orchestre conserve toutes ses qualités, mais l’on peut vraiment s’interroger quant à la pertinence des contre-ténors dans ce répertoire. Malgré le talent de Valer Barna-Sabadus et ses qualités expressives, la voix paraît trop petite et manque du mordant qu’il faudrait pour exprimer pleinement la rage du personnage.
     L’interprète se montre cependant sous un jour plus flatteur dans « Leon ch’errando vada », aria di paragone où Iarba se compare à un lion généreux épargnant un agneau. La musique est nettement préclassique et ressemble de très près à des pages beaucoup plus tardives de Hasse ; l’air se caractérise en effet par de longs et tendres mélismes, presque élégiaques, et une atmosphère très aérée créée par les longues notes des cors. La voix de Valer Barna-Sabadus s’y montre beaucoup plus à son aise.
Dans l’aria « Chiamami pur cosi », où Iarba répond par la colère au mépris d’Enée, l’on retrouve cependant les défauts propres à l’interprétation par un falsettiste d’airs initialement écrits pour un castrat. Malgré les efforts de Valer Barna-Sabadus, l’exécution semble trop lisse et pas assez héroïque, il lui manque le relief que sauraient lui donner des mezzos féminins comme Cecilia Bartoli ou Vivica Genaux.
     Le quatrième air est peut-être le plus beau du récital. Il s’agit de la dernière aria de Iarba, « Cadra fra poco in cenere », où le personnage annonce à Didon la ruine de Carthage. Pour cet air de vengeance, Hasse fait le choix surprenant d’une tonalité d’ut mineur et d’un tempo relativement lent : le prince africain se transforme ici en observateur extérieur qui pleure sur la déchéance de Carthage ; les motifs descendants de l’accompagnement instrumental, qui figurent la destruction complète de la ville, offrent un contraste saisissant avec la ligne plaintive du chant. L’interprète parvient à se montrer très expressif, ce qui fait de l’air le sommet du disque.



La cantate La Gelosia
     
     La Gelosia (La Jalousie) est une cantate composée par Hasse en 1762 sur un poème de Métastase où un berger se plaint de l’infidélité supposée de la bergère Nice. Le compositeur se trouve alors à Vienne, et l’œuvre est probablement destinée à l’usage des archiducs d’Autriche. Si elle est désignée comme « cantate de chambre », il convient de la distinguer nettement des nombreuses cantates avec simple accompagnement de basse continue, de deux violons ou d’une flûte que le Saxon a écrites notamment au début de sa carrière napolitaine. La voix est ici accompagnée par un orchestre complet, avec hautbois et cors.
     Hofstetter et Barna-Sabadus parviennent à animer efficacement les récitatifs. Le premier air, où le berger se repent d’avoir suspecté Nice, est un élégant et serein andante relevé par des lueurs de hautbois ; le second est une aria di tempesta dont la partie centrale offre cependant une métaphore contrastée, où la voix et le cor imitent la sonnerie guerrière d’une trompette. L’interprétation, notamment grâce aux qualités de l’orchestre, est probablement supérieure à celle que proposait Stradivaria il y a vingt-cinq ans, même si encore une fois, l’on aurait pu souhaiter, dans le second air, une voix plus mordante et plus incisive. Le défaut propre aux voix de contre-ténor est cependant moins marqué ici que dans les airs d’opera seria ; en effet, la petitesse de la voix peut convenir au caractère délicat, pastoral et relativement intimiste que conserve la cantate.
     Le récital se conclut par une aria de Porpora, écrite pour Farinelli en 1734 et insérée dans le pasticcio réalisé à Londres à partir de l’Artaserse de 1730 de Hasse. L’on peine à saisir la raison qui a poussé les interprètes à inclure cet air dans un programme dont il semble tout à fait étranger, mais l’exécution est agréable, et suffisamment différente de celle de Genaux et Jacobs pour qu’elle ne soit pas totalement injustifiée.

     S’il ne s’agit donc pas du grand récital tant attendu qui ouvrirait la voie à une vraie redécouverte des opéras de Hasse, le disque n’est pas sans intérêt, sans qualités et sans mérites. On ne peut que remercier les interprètes de leurs beaux efforts, même s’il est permis de s’interroger sur la pertinence de certains de leurs choix.

Jean Lodez

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Contre-débat est un espace de réflexion et de discussion. Tout le monde peut donc commenter les articles présentés, et ce, même de façon anonyme. Pour assurer la bonne tenue des discussions, les commentaires sont soumis à modération.

Ainsi, il est demandé à nos aimables lecteurs-commentateurs de veiller à l'orthographe de la langue française, ainsi qu'au respect de leurs interlocuteurs.