samedi 23 juin 2012

Imprécation n'est pas raison

Le 6 juin dernier, l’auteur qui signe Gottfried a publié sur Le Rouge et le Noir un article consacré aux catholiques de gauche, ou plutôt une véhémente attaque à leur encontre[1]. Loin de moi la volonté de défendre les catholiques de gauche, qui ont fait, et font encore, une bien mauvaise œuvre, au sein de l’Eglise comme dans la société. Mais était-il bien nécessaire de ne dérouler contre eux qu’un long chapelet de lieux communs[2] ?

Pourquoi un tel article ?
Le but était-il de montrer aux catholiques de gauche ce que leur position a effectivement d’intenable ? Le propos manque à ce point de nuance et de mesure qu’il ne peut convaincre que les convaincus. Non que ce soit tout à fait à tort que Gottfried énumère les hommes de gauche néfastes et hostiles à la religion chrétienne : mais précisément, ces hommes-là ne sont pas des catholiques de gauche, et il n’est pas même certain que ces derniers les tiennent en très haute estime : peut-être auraient-ils, quant à eux, invoqué Jacques Maritain, le P. Chenu ou Emmanuel Mounier, et non pas le père Combes comme affecte de le croire l'auteur. Il est donc très vraisemblable qu’un catholique de gauche, à la lecture d’un tel article, ou bien hausse les épaules avec indifférence, ou bien se sente gratuitement insulté par un insupportable donneur de leçons[3].
Le but était-il donc de s’adresser aux indécis ou aux adversaires des catholiques de gauche pour les affermir dans leurs justes convictions ? On aurait alors été en droit d’attendre autre chose qu’un propos aussi caricatural. Car l’on ne sait pas plus à la fin de l’article qu’au début ce que sont les catholiques de gauche, quelles sont leurs origines, leur histoire, leur évolution, quelle est au juste leur doctrine et par quels penseurs elle a pu être élaborée – ne parlons pas même de leurs éventuelles querelles intestines. Pourquoi donc un tel article ? Il me semble que la réponse doit être trouvée dans le genre littéraire, pour ainsi dire, auquel on peut le rattacher.

L’imprécation ou l’éternel défouloir
L’article s’achève pratiquement comme il a commencé, c’est-à-dire par des insultes ou plutôt des moqueries faciles :
Mais si être un « catho de gauche » c’est aimer danser avec un ukulélé en tapant dans ses mains et en chantant pour que la misère du monde disparaisse (à défaut de faire tomber la pluie) comme Bénabar, alors cela signifie que les « cathos de gauche » ne sont pas sortis de la petite enfance et qu’ils doivent rapidement se réveiller et lire Saint Augustin et le Camp des Saints de Jean Raspail pour comprendre qu’un chrétien doit prendre des décisions et non se contenter de tortillements stériles. Il faut choisir, parce que Dieu lui, « vomit les tièdes » (Apocalypse, 3 :15).
Le texte est assez clair : les catholiques de gauche sont d’une part puérils, d’autre part tièdes, et la dernière phrase, assortie d’une référence à l’Apocalypse, sonne comme une menace : Dieu les vomira au jour du Jugement, parce qu’ils ne sont ni chauds, ni froids. Cette dernière phrase, me semble-t-il, permet de rattacher l’article au genre de l’imprécation, et à tous ses travers, et c’est certainement la clef de tout le texte. Le but n’est plus d’argumenter contre les catholiques de gauche ; le but n’est pas même de les accabler, car les catholiques de gauche que combat l’article, tels qu’ils sont décrits, sont tellement caricaturaux qu’ils en sont irréels ; aussi l’auteur n’en donne-t-il pas d’exemples concrets, à l’exception d’un seul jeune catholique militant au Parti socialiste[4]. Le but, dans le fond, est de trouver un prétexte, une occasion de se défouler, et par-là même de montrer que, contrairement aux pendables adversaires que l’on s’invente, l’on est bon catholique, l’on n’est pas tiède, l’on ne sera pas vomi par Dieu au Jugement.
En définitive, peu importe l’ennemi que l’on combat. L’imprécation tient avant  tout à la pose que l’on prend, quand bien même elle ne servirait qu’à dissimuler le ralliement au conformisme le plus plat. Jacques de Guillebon en donnait à l’automne 2011 un exemple aussi triste que mémorable en s’en prenant aux catholiques qui protestaient contre les pièces de théâtre sacrilèges[5]. On pourrait même dire que son article était un morceau d’anthologie du genre : il repose tout entier sur une opposition entre une deuxième personne de pluriel qui désigne évidemment les abominables pharisiens imbéciles du Parti de l’Ordre de l’exemplaire première personne du singulier – quinze occurrences du « je » en moins de trois pages, mises en évidence par de pesantes anaphores[6]. Bougainville, quant à lui, quoique ses articles ne relèvent pas à proprement parler de l’imprécation, s’en prenait aux traditionalistes pour mieux montrer que lui, contrairement à ces derniers, est un catholique exemplaire par son « humilité filiale »[7].
L’adversaire, dans cette littérature-là, est le faire valoir du « moi, je » de l’auteur. Qu’importe que la cause soit bonne ou mauvaise : tant que l’on peut prendre la pose, tant que l’on peut montrer que l’on vaut mieux que les autres, elle fait toujours très bien l’affaire. Rien de plus facile ensuite que d’aligner lieux communs et mauvais pastiches de Bernanos et de Léon Bloy : cela ne coûte rien, cela ne demande pas de recherche ni de réflexion et moins encore de rigueur.
Il est regrettable assurément que de jeunes catholiques talentueux et cultivés se laissent prendre au piège d’une littérature peut-être aussi stérile qu’elle peut sembler séduisante au premier abord.

Louis-Marie Lamotte

Cet article sera suivi aussi rapidement que possible d'une brève tentative de réflexion sur la doctrine des chrétiens de gauche.


[2] « La gauche, c’est Daniel Cohn-Bendit, Jack Lang et tant d’autres encore. Naguère, ce furent Robespierre, Emile Combes et le général Louis André qui sur des ordres bien grand-orientés (mais pas le bon Orient vraisemblablement) eut l’idée de ficher les catholiques dans l’armée. »
[3] Voici en effet le commentaire laissé au bas de l’article par un « catho de gauche » :
« Moi même étant catho de gauche, je me suis reconnu en effet dans cette série d’exemples très précis et je prends acte.
Il est vrai que moi même étant père de famille, je suis pour le deal de drogues dures dès la maternelle, l’accueil de pédophiles à la messe( zut ça c’est déjà fait ils vont même être canonisés)
Je me suis bien reconnu dans ce portrait édifiant, pleins de bon sens, intelligent, et qui surtout a su éviter tous les lieux-communs du genre.
Votre verbiage et autres vociférations, quel talent, je prends ça pour une véritable remise en question....de ma part bien sur c’est à moi de changer, évidemment.
Avant de finir juste une petite question. De quel droit vous nous jugez ? Vous vous prenez pour qui ?
Bon allez, j’arrête là et juste avant de finir une petit citation trouvée dans un bouquin :"Qui es-tu toi pour juger ton prochain ?":jacques 4-12
Merci encore une fois de m’avoir ouvert les yeux, il en faudrait encore plus des gens comme vous qui font preuve d’une réelle sagacité. Merci du fond du cœur.
PS : Le bouquin si vous le connaissez pas, je peux vous laisser les coordonnées ce sera avec grand plaisir un petit peu de culture pendant l’été, comme ça à la rentrée vous affinerez votre argumentation. »
[4] Les exemples éloquents, pourtant, n’auraient pas manqué ; il aurait suffi de se souvenir de Jacques Delors ou de faire une visite aux sites de La Vie, du Pèlerin ou de Témoignage chrétien : mais précisément, si l’on excepte Golias et la Conférence des baptisés de France, nombre de catholiques de gauche ne se reconnaîtraient pas dans le portrait que dresse d’eux Gottfried : c’est pourquoi le plus commode est de se passer d’exemple.
[6] « Quand le vrai matin rouge sang de la persécution aura levé, je ne les verrai pas du côté du peuple, de ceux qui souffrent vraiment, des pauvres, ni des barbares : je les verrai comme d’habitude dans le Parti de l’Ordre, celui qui bannit et anathématise, pour garder la race pure. Je les verrai défendre leurs biens comme ils défendent déjà aujourd’hui une image du Christ comme leur propriété. »


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