mardi 5 juin 2012

« Faisons Église » - Le comble de l’impiété ecclésiologique


     Pour le Carême 2012, et pour commémorer les cinquante ans de l’ouverture du second concile du Vatican, le diocèse de Saint-Denis de la Réunion a jugé bon de publier un livret de carême au titre éloquent : « Faisons Eglise, vivons ensemble ». Ce n’est pas le second volet, si l’on peut dire, de ce titre qui retiendra ici notre attention, mais le premier : Faisons Église.


« Les enfants du KT apprennent à "faire Église" » 
(Source : http://catholique-tarn.cef.fr/spip.php?article2341)

     L’usage de l’impératif fait singulièrement ressortir ce que l’expression a de singulier, mais si l’on y songe bien, la tournure infinitive, plus usitée, n’est pas moins curieuse – faire Église. Qui n’aura jamais rencontré ces mots dans tel journal catholique, telle feuille paroissiale ou diocésaine, dans la bouche de laïcs engagés, voire de simples paroissiens ? Faire Église : tel est l’impératif qui, depuis le Concile, semble s’être imposée à tous les catholiques de France. Sa signification n’est pourtant pas évidente. Il n’est pas même sûr que l’expression soit correcte et tout à fait française ; elle est en tous cas assez inélégante.


Deux choix et un problème curieusement posé

     L’introduction du livret de carême du diocèse de la Réunion nous éclaire cependant sur le sens qu’il faut donner à ces deux mots. Les rédacteurs nous invitent en effet à « nous interroger sur le visage de l’Église que nous présentons au monde qui nous entoure » :
     Une société organisée et bien structurée en paroisses, en Conseils, en mouvements, services ou organismes qui « fonctionnent » chacun dans son domaine, sur le mode pyramidal, une société qui répond par des « prestations » aux demandes religieuses de chrétiens qui restent, pour la plupart, « consommateurs » ?
     Ou plutôt le visage d’un peuple fraternel, où chacun est égal à son frère, où nous avons besoin les uns des autres, où chacun se sent utile en participant, où une authentique charité crée entre tous les membres une « communion » qui a sa source en Dieu qui est « communion du Père et du Fils dans l’Esprit d’amour.
     Une telle présentation ne laisse guère subsister de doute quant au choix que font les rédacteurs. En effet, nous devons choisir entre une Église de « structures » et de « consommateurs » et une Église fraternelle, authentiquement charitable, animée par l’amour de la Très Sainte Trinité. Ainsi présenté, l’on peut dire que le problème est résolu avant que d’avoir été posé.



Corps mystique ou société hiérarchique : l’amour des antinomies

     Le problème, hélas, est que, précisément, l’Église réelle, l’Église catholique, apostolique et romaine, est bel et bien une société, et de surcroît une société « pyramidale » autant qu’une communauté fraternelle. Le Catéchisme de saint Pie X enseigne ainsi que l’Église est une « société visible » fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ : « L’Église catholique est la société ou la réunion de tous les baptisés qui, vivant sur la terre, professent la même foi et la même loi de Jésus-Christ, participent aux mêmes sacrements et obéissent aux pasteurs légitimes, principalement au Pontife Romain. » On ne saurait être plus clair.
     Mais, objectera-t-on, l’Église, avant d’être une société visible, est le Corps mystique du Christ, qui en est la Tête, comme l’enseigne saint Paul. En effet, et c’est également ce qu’enseignent les Papes et les docteurs. Mais le Vénérable Pie XII, dans l’encyclique Mystici Corporis, n’hésite pas à parler, pour désigner l’Église, de « corps social » du Christ, dont le « gouvernement visible » est confié au prince des Apôtres, c’est-à-dire au Pontife romain, Successeur de Pierre, en vertu des promesses de Notre-Seigneur (Mt XVI, 18). Contrairement au livret du diocèse de la Réunion, Pie XII était loin d’opposer la définition de l’Église comme Corps mystique du Christ à sa caractérisation comme société hiérarchique, parfaite, « pyramidale ». Quelle nécessité y a-t-il en effet à opposer ces définitions toutes deux également vraies et nullement contradictoires, qu’il faudrait œuvrer à unir toujours plus étroitement, sinon cet « amour des antinomies » que Jacques Maritain, dénonçait comme l’une des caractéristiques de la pensée moderne ? Le Corps mystique de Jésus-Christ est un corps social, visible, hiérarchisé, structuré. C’est ce que les rédacteurs du livret, par maladresse d’expression peut-être, semblent avoir négligé.


« Communion » ou désagrégation de l’Église ?

     Au-delà de ce que refuse presque explicitement le document, ce qui est proposé n’est si l’on peut dire pas dénué d’intérêt : « un peuple fraternel, où chacun est égal à son frère », uni par une « communion ». Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de relever que les guillemets, dans le second cas, sont dans le texte. Cette « communion » n’est pas définie, même si les rédacteurs disent qu’elle a « sa source en Dieu ». La foi catholique, la foi surnaturelle reçue au baptême, la foi en tout ce que l’Église de Dieu croit et enseigne, n’est jamais mentionnée.
     En revanche, le livret ne se contente pas de désigner avant tout l’Église comme un peuple fraternel – ce qu’elle est effectivement – mais ajoute que chacun s’y « sent utile en participant ». Tout cela peut s’entendre en un sens très acceptable. « Ce qui manque aux souffrances du Christ en ma propre chair, je l’achève pour son corps, qui est l’Eglise », dit saint Paul (Col I, 24). Chaque chrétien est appelé à offrir chaque jour son cœur, ses œuvres, ses prières, ses joies et ses labeurs, pour l’édification de l’Église, le salut des âmes et la gloire de Dieu. Mais ici il ne s’agit plus seulement de s’offrir à Dieu en hostie sainte et d’agréable odeur : il s’agit de sentir que l’on est utile dans le peuple, la communauté qu’est l’Église. Dès lors la communion cesse d’être un fait fondé sur communauté de foi et de sacrements, sous l’autorité des mêmes pasteurs et premièrement du Pontife romain ; pour être réelle, la communion doit être sentie.
     Ce sentiment de communion n’est pas sans conséquence dans la manière dont l’on conçoit l’Église, et nous montre peut-être ce que signifie le curieux mot d’ordre « Faisons Église », dont les deux mots résument la révolution ecclésiologique contemporaine qu’on a prétendu accomplir au nom du dernier Concile. A l’Église instituée par Notre-Seigneur Jésus-Christ et édifiée par le Saint-Esprit, l’on substitue la communauté que l’on fait et que l’on sent, sans voir que cela pourrait bien signifier tout uniment la désagrégation pure et simple de l’Église du Christ.


Une impiété envers notre Mère l’Église

     « Lorsque le Seigneur, ton Dieu, t’aura fait entrer dans le pays qu’il a juré à tes pères, à Abraham, à Isaac et à Jacob, de te donner : grandes et bonnes villes que tu n’as pas bâties, maisons pleines de toutes sortes de biens que tu n’as pas remplies, citernes que tu n’as pas creusées, vignes et oliviers que tu n’as pas plantés ; lorsque tu mangeras et te rassasieras, garde-toi d’oublier le Seigneur, qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude », nous dit la sainte Écriture (Dt VI, 10-12). De même les chrétiens, en entrant dans l’Église, grande et bonne ville qu’ils n’ont pas bâtie, sont comblés d’une multitude de grâces et de biens, sans aucun mérite de leur part. La religion chrétienne nous apprend à préférer toujours ce qui nous est donné, ce que nous recevons de la divine Providence, de la sainte Église, des sacrements, aux œuvres que nous accomplissons de notre propre choix, et à en concevoir une grande reconnaissance, et une véritable piété filiale envers notre sainte Mère.
     Mais au lieu de cela, on fera Église – et c’est impératif, et à la première personne – on construira sa communauté selon ses goûts, selon ses sentiments et en définitive selon les modes du moment ; car il ne suffit pas de faire, il faut encore sentir ; c’est pourquoi l’on fera non pas l’Église, qui n’est pas faite de main d’homme, mais une communauté locale particulière et sans autre fondement que le sentiment d’appartenance communautaire de ses membres ; sentiment qui ne peut que varier au gré des caprices du temps. Dès lors, la conversion perd toute urgence, et la foi toute nécessité. On ne saurait mieux faire autre chose que l’Église, mieux manquer de piété envers elle. Faire Église – ces deux mots expriment, le plus souvent sans que ceux qui les utilisent en soient conscients, et si on leur accorde une pleine signification[1], toute la révolution ecclésiologique qui a opéré dans le peuple chrétien de si grands ravages et qui est en définitive, pour parler comme Mgr Gaume, haine de tout ce que l’homme n’a pas établi – haine ou mépris du moins de tout ce que le croyant a reçu sans en être l’auteur.
     Le psaume nous avertissait pourtant : « Si le Seigneur ne bâtit pas la maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent » (Ps CXXVII, 1).

Louis-Marie Lamotte


[1] Ce que ne fait probablement pas le diocèse de Saint-Denis de la Réunion, dont le texte nous fournit surtout l’occasion de réfléchir à la curieuse expression qu’il a mise en évidence.


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