La lecture des « billets » du Centre Pastoral Halles-Beaubourg permet de constater le malaise qu’éprouvent certains de leurs rédacteurs au sein de l’Eglise aujourd’hui. « A titre personnel, je me demande quelle est ma place dans cette église qui est si massivement étrangère à mes opinions », se demande ainsi un rédacteur en songeant que 80% des catholiques pratiquants ont voté à droite aux dernières élections présidentielles[1].
Une option contre l’être historique de l’Eglise
Nos précédents articles ont en effet montré comment la doctrine d’assomption des valeurs modernes a inéluctablement conduit certains catholiques de gauche à s’opposer à l’enseignement de l’Eglise, dont sont remis en cause d’une part la constitution hiérarchique accusée d’être trop peu démocratique et libérale, d’autre part les réponses données aux questions morales. Dès 1974, Jean Madiran montrait ainsi dans Réclamation au Saint-Père que l’ « option fondamentale » supposée missionnaire n’était pas seulement une option « pour » une conception très particulière de la mission, mais aussi une option « contre ». « Le « pour » de l’option est toujours plus ou moins vague ; le « contre », en revanche, est net. » Il s’agit en effet, dit Jean Madiran, d’une option « contre l’être historique de l’Eglise[2] ». Prendre jusqu’au bout le parti d’assumer les valeurs de la modernité, en effet, ne peut en bonne logique que conduire à s’élever à terme contre une Eglise catholique réelle dont toute la doctrine et toute la vie sont fondées sur la prédication d’un Christ qui est le même, hier, aujourd’hui et pour l’éternité (Hébr XIII, 8).
Et si les progressistes quittaient l’Eglise ?
La question peut dès lors se poser : pourquoi des catholiques de gauche que leur doctrine entraîne toujours plus loin des enseignements de l’Eglise en matière de foi et de mœurs restent-ils dans l’Eglise ? La question a été sérieusement posée par Bill Keller, ancien rédacteur en chef du New York Times. « Ce texte, note La Vie, a été fortement discuté dans des milieux progressistes catholiques[3]. » L’hebdomadaire chrétien et humaniste mentionne l’une des principales réponses données à cette question, celle de la théologienne Jamie L. Manson dans le National Catholic Reporter du 27 juin 2012[4]. Cette réponse, à bien des égards, est très intéressante ; elle l’est d’ailleurs bien plus par ce qu’elle omet que par ce qu’elle affirme. Je reproduis donc l’essentiel du résumé que fait La Vie de son article :
Jamie L Manson explique que « le fait de quitter l'Eglise est un luxe que le monde ne peut s'offrir ». Certes, admet-elle, « la prise en main hostile de l'Eglise par des forces archi-conservatrices [...] est un fait accompli [...] et les choses ne vont pas changer. » De même, elle partage tout à fait l'avis de Keller sur les responsables de l'Eglise qui semblent souhaiter que les dissidents catholiques s’en aillent. Mais, elle n'est pas d'accord sur un point : si les catholiques vivant en Occident pourraient effectivement quitter l'Eglise pour « faire leurs courses dans le vaste marché spirituel, où l'on trouve tout, de la médiation zen à l'Evangile de la prospérité », ceux qui vivent dans les pays pauvres n'auraient guère cette possibilité. « Il est important de rester en solidarité avec les catholiques à travers le monde et continuer ainsi nos actions afin de réformer l’enseignement de l’Eglise.
De fait, on n’aurait pu être plus clair. Si Mme Manson refuse de quitter l’Eglise catholique, ce n’est pas parce qu’en dépit de son malaise, elle y reconnaît l’Eglise de Dieu, l’Eglise divinement instituée et fondée sur Pierre par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être l’unique arche du salut, son Corps mystique, « l’Evangile qui continue », comme l’écrivait le cardinal Journet[5]. Ce n’est pas non plus parce qu’elle estime que cela est nécessaire à sa sanctification et au salut de son âme. Elle reste dans l’Eglise parce qu’elle veut la changer.
Changer l’Eglise
On touche ici à une conviction centrale de ces catholiques de gauche. Elle est loin d’être propre à Mme Manson ; on la retrouve par exemple sous la plume d’Anne Soupa, théologienne elle aussi, dans une tribune qu’elle signait dans La Croix en 2009 : « Ce qui fonderait donc le fait de rester, malgré l’amertume de ces jours, est la conviction que la critique est destinée au relèvement[6]. » On peut toujours objecter que ce singulier attachement à l’Eglise catholique, apostolique et romaine est le fait de quelques extrémistes ; et c’est certainement vrai ; bien des catholiques de gauche, assurément, gardent ne serait-ce que confusément le sentiment d’appartenir par leur baptême à l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ. Mais il n’est pas anodin que de tels propos d’une part soient tenus par une théologienne revendiquée, qui devrait pourtant en mesurer la portée, d’autre part bénéficient d’un aussi puissant relai que celui du quotidien La Croix, sans semble-t-il que la rédaction assomptionniste n’ait trouvé de quoi se scandaliser. Il est accepté, il est admis que des catholiques déclarent rester dans une Eglise dont ils ne partagent visiblement pas la foi ou la doctrine, non pour le salut de leur âme, mais parce qu’ayant perdu foi en l’institution divine de l’Eglise, ils veulent la changer pour la refaire selon leur bon plaisir et selon les valeurs modernes qu’ils assument si pleinement, a planta pedis usque ad verticem capitis. Le monde et son évolution jouant désormais le rôle d’un Magistère infaillible et immédiatement contraignant, il n’y a plus lieu de se préoccuper du Magistère ecclésiastique, sinon pour conformer celui-ci à celui-là.
Sortir de l’Eglise… sans en sortir
Ces catholiques néoprogressistes qui, ayant poussé jusqu’au bout l’écoute du monde et l’assomption des valeurs de la modernité, ne croient plus à la divinité ni même à la nécessité de l’Eglise catholique, ces catholiques contre le catholicisme, loin d’attendre dans l’ombre leur heure, peuvent s’exprimer dans les colonnes de la grande presse religieuse, voire ici ou là dans les diocèses à l’invitation des évêques, sans que nul ne trouve rien à y redire. Jean Madiran explique ainsi ce que signifie la formule apparemment absurde du cardinal Marty : L’Eglise doit sortir d’elle-même.
« Ils veulent sortir de l'Eglise, écrit-il, ils en sont déjà sortis […], mais ils n'en sont pas sortis individuellement : ils en sont sortis « en Eglise », collégialement et conciliairement ; ils en sont sortis tous ensemble, mais sans démissionner, sans rien abdiquer, en conservant au contraire leurs dignités, leurs grades, leurs pouvoirs, en demeurant comme devant, chacun selon son rang, docteurs, hiérarques et pontife[7]. »
Louis-Marie Lamotte
[2] Réclamation au Saint-Père, NEL, 1974, p. 56
[5] Cardinal JOURNET, L’Eglise et la Bible, 1960
[7] Réclamation au Saint-Père, p. 64
Bonsoir,
RépondreSupprimerBravo et merci pour cette série de six articles, tous éclairants et instructifs.
Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Eglise, le progressisme, depuis, au plus tard, la fin des années 1980, ne peut plus prendre appui sur la religion séculière qu'a été le communisme, et, en ce sens, il est orphelin.
La solution qui a été trouvée, pour que les progressistes aient une raison d'être de substitution, est à peu près celle-ci : le combat contre l'ultra-libéralisme économique et social ET pour l'ultra-libéralisme philosophique et moral.
Or, ces deux composantes de l'ultra-libéralisme ne sont en rien contradictoires ; ce qui est doublement contradictoire, c'est,
- d'une part, de dire NON à l'ultra-libéralisme économique et social, tout en disant OUI à l'ultra-libéralisme philosophique et moral,
- d'autre part, de dire OUI à l'ultra-libéralisme philosophique et moral, tout en croyant, en faisant croire ou en laissant croire qu'il est possible de dire également OUI à la morale ou à une morale qui découlerait, fidèlement, de l'Evangile ou du Nouveau Testament.
C'est cette double contradiction, pour ne pas dire cette double imposture, qu'il faut dénoncer, aujourd'hui, au sein et autour de l'Eglise, en s'inspirant peut-être des travaux d'un MICHEA ou d'un TAGUIEFF contre le progressisme non catholique contemporain.
De plus,
- un détournement de finalité, démagogique et déresponsabilisant, de la part de personnalisme qui caractérise le christianisme,
- un refus des contradictions radicales et substantielles qui existent, depuis toujours,
- entre l'Esprit de Dieu et la religion du salut, - et l'esprit du monde et la religion du progrès,
constituent deux autres fondements, c'est exact, implicites, le plus souvent, du progressisme de certains catholiques.
Le plus grave est que certains d'entre eux, qui ont été plus appuyés que contredits, par bien des clercs, pour aller dans cette direction, se croient d'autant plus fondés, dans leur démarche, qu'ils s'imaginent que le Concile a été, en son temps, une sorte de consécration magistérielle qui aurait été donnée, par l'Eglise elle-même, au progressisme catholique, consécration qui se serait faite en rupture totale, vis-à-vis du christianisme catholique antérieur au Concile.
C'est la raison pour laquelle, dans le contexte actuel, il est possible de dire que le progressiste catholique est "rupturiste" : en rupture, et non en conformité ou en continuité, avec l'avant-Concile, avec une grande partie de l'après-Concile, notamment de Humanae Vitae à Evangelium Vitae, et avec le Concile lui-même, qui est bien plus rénovateur dans sa forme que progressiste dan son fond.
Je vous remercie par avance pour toute prise en compte de ce message, et je vous souhaite une excellente continuation.
A Z
Merci pour ces elements ainsi que pour la contribution de AZ.
SupprimerPresque tout est dit.
Si on se demande comment cela se fait il que de tels virus aient pu entrer dans l'église conciliaire,il faut se poser la question sur le concile lui meme.
On juge l'arbre a ses fruits nous dit l'évangile
de notre seigneur.....
Il faut effectivement rétablir sa dimension historique
et sa nature de "continuite bi-millenaire" qui ne peut souffrir d'une theologie de la rupture actuelle.
Si les virus restent c'est que;
1.Le principe meme de l'entrisme de virus dans une institution qui se veut sainte est un processus previsible.
Il serait anormal qu'il n'y ait pas de tentatives.
2.Les conditions pratiques & historiques de l'election du pape Jean 23 en octobre 1958 posent un probleme de taille.
Refuser d'aborder le sujet (ne fusse qu'en consultant google)est enfantin.Voir les etudes sur le cardinal Siri de Genes,dont plusieurs temoins de qualité attestent qu'il avait été élu pape en 1er choix,mais avait du renoncer a la suite de pressions,pour declencher l'election de Jean 23.
3.Les conditions de vie du pape suivant Paul VI,(designé par jean 23) posent egalement probleme,si on prend la peine de lire les memoires des gardes suisses,decrivant le deferlement de mignons au Vatican des l'election de Paul VI.
etc etc etc