Cet article est la suite du compte rendu de l'ouvrage d'Yvon Tranvouez dont on peut trouver ici la première partie :
Mgr Guerry, adversaire résolu de La Quinzaine
La Quinzaine, son lancement et ses lecteurs
C’est l’aventure de La Quinzaine, de la publication de son premier numéro à sa condamnation, qui occupe la deuxième grande partie de l’ouvrage. Le journal paraît tout d’abord sous le titre Quinzaine, revendiquant clairement l’héritage de Sept. Il est cependant confronté dès son lancement à une grave crise : confrontés aux critiques dont font l’objet Quinzaine et le Bulletin d’Information Religieuse (BIR) du P. Desroches, tant de la part de Rome que de l’épiscopat français, les dominicains doivent se retirer de la rédaction du journal, qui est sauvé par l’intervention le 23 janvier 1951 de Mgr Feltin, archevêque de Paris (p. 114).
Le bimensuel prend alors le nom de La Quinzaine ; s’il demeure sous le « contrôle théologique » du P. Chenu (p. 113), sa rédaction est désormais composée de militants laïcs dont Yvon Tranvouez montre bien la diversité, de l’aile gauche du MRP, représentée par Claude Gérard, au militant de l’UCP Jean Verlhac, même si la plupart sont jeunes et intellectuels (p. 118). Ils n’en gardent pas moins leurs liens avec les pères Boisselot et Chenu, qui, avec une équipe de clercs (p. 120), publient à la fin de chaque numéro un billet spirituel signé Apostolus. Au cœur du dispositif se trouve cependant Madame Sauvageot, qui finance l’entreprise grâce au patrimoine immobilier de la Société Temps Présent (p. 121). Le journal atteint en novembre 1952 un maximum de 6371 abonnés (p. 122). Peinant à atteindre le lectorat ouvrier, il recrute surtout dans la petite bourgeoisie et le clergé, notamment en province ; ainsi l’auteur montre que dans le diocèse de Quimper, entre un tiers et la moitié des abonnés sont des clercs (p. 124). C’est donc un journal fortement lié à l’Eglise qui entre dans les débats qui agitent le mouvement missionnaire français.
Le bimensuel prend alors le nom de La Quinzaine ; s’il demeure sous le « contrôle théologique » du P. Chenu (p. 113), sa rédaction est désormais composée de militants laïcs dont Yvon Tranvouez montre bien la diversité, de l’aile gauche du MRP, représentée par Claude Gérard, au militant de l’UCP Jean Verlhac, même si la plupart sont jeunes et intellectuels (p. 118). Ils n’en gardent pas moins leurs liens avec les pères Boisselot et Chenu, qui, avec une équipe de clercs (p. 120), publient à la fin de chaque numéro un billet spirituel signé Apostolus. Au cœur du dispositif se trouve cependant Madame Sauvageot, qui finance l’entreprise grâce au patrimoine immobilier de la Société Temps Présent (p. 121). Le journal atteint en novembre 1952 un maximum de 6371 abonnés (p. 122). Peinant à atteindre le lectorat ouvrier, il recrute surtout dans la petite bourgeoisie et le clergé, notamment en province ; ainsi l’auteur montre que dans le diocèse de Quimper, entre un tiers et la moitié des abonnés sont des clercs (p. 124). C’est donc un journal fortement lié à l’Eglise qui entre dans les débats qui agitent le mouvement missionnaire français.
Constituée de militants issus d’horizons divers, la rédaction de La Quinzaine se heurte à la « difficulté d’harmoniser une équipe de rédaction issue de courants de pensée différents et d’organisations diverses » et de dégager une ligne politique claire (p. 138). Si le camp occidental est largement dénoncé comme oppresseur et fauteur de guerre, le camp socialiste est « diversement apprécié » (p. 139) par les rédacteurs. Tandis que Jean Verlhac salue l’œuvre du communisme en Pologne (p. 146), l’équipe se divise face aux persécutions dont sont victimes les Eglises de l’Est et au procès Slansky (p. 151). « Les procès manifestent la distance qui sépare, dans La Quinzaine, ceux qui adhèrent pleinement aux thèses du Parti communiste et ceux qui ne les accompagnent qu’en raison du vide « tragique » de la gauche non communiste en France » (p. 153). L’hommage rendu à Staline à sa mort montre cependant l’attachement durable de certains militants chrétiens au stalinisme par crainte de se couper des masses. « Cette persistance d’un choix progressiste pour des raisons missionnaires, alors même que se brouille l’évidence de ses motivations politiques, c’est bien le nœud du progressisme chrétien » (p. 155).
Tensions avec la Hiérarchie
C’est en novembre 1952 que surgissent de nouveau les difficultés du journal avec la Hiérarchie, qui fait publier un avertissement dirigé contre La Quinzaine et Jeunesse de l’Eglise. La Quinzaine proteste de sa fidélité, ramène le litige à un malentendu (p. 172) et s’efforce dès lors de se démarquer de Jeunesse de l’Eglise tout en justifiant sa « libre expression » par les « nécessités de la mission » (p. 160). Relevant l’apparente légèreté des arguments invoqués par l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques (ACA) dans sa note confidentielle (p. 163), Yvon Tranvouez voit dans cet avertissement la conséquence de la « théorie ambiguë » que La Quinzaine est la première à s’efforcer de systématiser (p. 164), se considérant comme l’avant-garde d’un mouvement missionnaire dont elle détourne le vocabulaire : tout en parlant un langage qui demeure celui du catholicisme intransigeant, le journal remet en cause la « prétention de l’Eglise à détenir les clefs de l’avenir de la société » (p. 168) et prête au mouvement ouvrier un rôle dirigeant dans la construction d’un monde nouveau.
Le « point critique » est cependant aux yeux d’Yvon Tranvouez le rapport des rédacteurs à la doctrine sociale de l’Eglise. L’auteur montre qu’avant même d’être un motif de conflit entre les progressistes et la Hiérarchie, celle-ci divise les chrétiens proches de La Quinzaine, tels Jean Lacroix dans Esprit, qui l’accuse de détourner les textes hiérarchiques par une sorte de « cléricalisme de gauche » (p. 179). Le P. Montuclard, dans le bulletin de Jeunesse de l’Eglise, reproche à La Quinzaine de continuer à s’inscrire dans une problématique de chrétienté en refusant de séparer les plans spirituel et temporel (p. 181). Le P. Bigo, jésuite, proche des nouvelles expériences missionnaires, déplore quant à lui la complaisance et l’aveuglement du journal à l’égard du communisme (p. 188) qui constituent bien le « dénominateur commun qui rassemble encore presque tous ceux qui participent du progressisme chrétien : le refus d’exclure les communistes », en dépit du décret du Saint-Office de 1949 (p. 192).
A l’automne 1953, la condamnation de Jeunesse de l’Eglise par l’ACA place La Quinzaine dans une situation délicate, aggravée par l’influence que la Hiérarchie prête au journal sur des secteurs dont elle entend se réserver un « contrôle exclusif », ceux du clergé et des militants d’Action catholique (p. 201). Abandonnée par les évêques dont elle se réclamait, notamment Mgr Chappoulie, évêque d’Angers (p. 200), fortement attaquée par Jean Madiran (p. 206), isolée dans sa défense des prêtres-ouvriers, La Quinzaine est condamnée par une déclaration de l’ACA qu’Yvon Tranvouez reproduit intégralement (pp. 207-209) et qui révèle l’équivoque que représentait le vocabulaire commun de la mission : « Là où les évêques persistent à ne voir qu’un état social préoccupant, les rédacteurs du journal perçoivent une force en marche, porteuse de la civilisation nouvelle » (p. 214). A la condamnation, le journal s’efforce de répondre par une nouvelle protestation solennelle de fidélité à l’Eglise et à l’épiscopat (p. 221) dont Yvon Tranvouez montre cependant qu’elle apparaît de fait comme une « double fidélité », expression d’une « conscience malheureuse, écartelée entre deux références disjointes » (p. 222).
La condamnation romaine de La Quinzaine
Mais l’auteur voit dans cette répétition des affirmations de fidélité à la Hiérarchie des « formules qui n’ont plus d’évidence immédiate » et ayant désormais perdu une bonne part de leurs fondements (p. 225). Si la condamnation par le Saint-Office, approuvée par Pie XII dès le 29 janvier 1955 et publiée le 4 février, n’est donc pas surprenante dans le « contexte général de répression frappant les catholiques de gauche », il demeure difficile, les sources romaines n’étant pas encore accessibles, d’expliquer le sursis de dix mois qui sépare la condamnation par l’ACA, certainement inspirée par Mgr Guerry, de l’intervention romaine ; l’auteur y voit une marque de prudence de la part du Vatican craignant d’exacerber, après la condamnation des prêtres-ouvriers et des théologiens dominicains, les sentiments anti-romains (p. 228). La condamnation romaine, si elle suit des mises en garde de la Hiérarchie, notamment du cardinal Gerlier et de Mgr Ancel, est publiée sans que l’épiscopat français en soit préalablement informé (p. 239). Le 23 février 1955, La Quinzaine, dans son éditorial, annonce qu’elle cessera désormais de paraître, effectuant un « sabordage bruyant » (p. 242) suivi par la publication anonyme par le P. Dabosville dans Le Monde d’un article s’en prenant violemment à la « politique de Rome » (pp. 243-244), qui, suscitant une vigoureuse réaction du Vatican, contribue encore à affaiblir la « position conciliante » du cardinal Feltin au profit de celle de Mgr Guerry (p. 244).
Louis-Marie Lamotte
(A suivre)
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