Salué comme l'un des plus grands musiciens de son temps, trop oublié aujourd'hui, J.A. Hasse (1699-1783), qui fut l'un des maîtres de l'opera seria italien du XVIIIe siècle, me semble mériter d'être connu davantage. Ce premier article vise à donner un bref aperçu de sa carrière et de sa vie.
"Giovanni Adolfo Hasse, detto il Sassone"
Johann Adolf Hasse naît en 1699 dans le village de Bergedorf, près de Hambourg, fils de Peter Hasse, organiste de l’église luthérienne ; il est issu d’une véritable lignée de compositeurs, d’organistes et de musiciens actifs en Allemagne du Nord au cours du XVIIème siècle. Il reçoit de son père sa première éducation musicale, puis se rend à Hambourg, où il se produit à l’Opéra en tant que ténor, sous la direction de Reinhard Keiser ; en 1717, il compose son premier opéra, Antioco, dans lequel il chante le rôle-titre. En 1721, invité à la Cour de Brunswick, il y compose l’opéra Antigono, où il participe également en tant que ténor. Ces premières œuvres s’inscrivent dans l’esthétique de l’opéra allemand de Keiser et Mattheson, mais subissent déjà l’influence du bel canto italien.
De l’Allemagne du Nord à Naples
La musique italienne, et plus particulièrement napolitaine, exerce en effet un puissante fascination sur le jeune compositeur, qui quitte l’Allemagne en 1722 pour se rendre à Naples, où il est d’abord remarqué comme claveciniste et ténor. Il suit tout d’abord l’enseignement de Nicola Porpora, puis, s’étant querellé avec celui-ci pour des raisons tant artistiques que personnelles, il se tourne vers Alessandro Scarlatti, dont il gagne l’affection et devient le dernier élève ; grâce à lui, il obtient en 1725 la commande d’une serenata à deux voix, Marc’Antonio et Cleopatra, représentée chez un riche banquier. Il dispose à cette occasion d’interprètes exceptionnels : le jeune castrat Farinelli et la contralto Vittoria Tesi. L’œuvre rencontre un important succès, qui permet à Hasse de recevoir une nouvelle commande, cette fois pour un opéra de plus grande envergure, Il Sesostrate, représenté en 1726, après la mort de Scarlatti, une fois encore avec succès.
Entre 1726 et 1730, Hasse compose une série d’opere serie et d’intermèdes comiques, tels que L’Astarto, Gerone, L’Attalo, L’Ulderica, Il Tigrane ou L’Artigiano Gentiluomo ou La Contadina. En 1729, il compose les deux seuls opere buffe de sa carrière, La sorella amante et L’Erminia. Ces diverses œuvres lui permettent d’être nommé maître supranuméraire de la chapelle royale de Naples et de s’affirmer auprès de Porpora, de Leo ou de Vinci comme l’un des plus grands représentants de la nouvelle école napolitaine.
Le triomphe de l’Artaserse (Venise, 1730)
En 1730, il se rend à Venise pour y faire représenter son opera seria Artaserse, d’après un livret de Pietro Metastasio. Les trois rôles principaux sont tenus par Farinelli, Francesca Cuzzoni et le castrat Nicolino, qui disposent tous d’une renommée considérable. L’opéra triomphe devant le public vénitien, est diffusé dans la plupart des grandes capitales au cours des deux décennies suivantes et consacre ainsi la gloire européenne de Hasse, qui reçoit le surnom de Il Sassone, le Saxon. A Venise, il se convertit au catholicisme et rencontre la célèbre mezzo-soprano Faustina Bordoni, qu’il épouse et qui ne tarde pas à devenir l’une des principales interprètes de ses opéras ; en 1730, elle chante le rôle-titre de la pastorale Dalisa. Hasse se lie de plus avec l’Ospedale degli Incurabili, pour lequel il compose son Miserere en ut mineur et son Salve Regina en la majeur, qui sont joués par la suite dans toute l’Europe.
Hasse, maître de chapelle de la Cour de Dresde
La Cour de Dresde commande alors un opéra à Hasse : il s’agit de Cleofide, d’après Métastase. Hasse quitte donc l’Italie et dirige la représentation de son opéra, dont il compose le rôle-titre à la mesure de la virtuosité de Faustina Bordoni. J.S. Bach et son fils Wilhelm Friedemann assistent à cette représentation triomphale, qui assure à Hasse le poste de maître de la chapelle électorale de Saxe, resté vacant depuis la mort de Heinichen en 1729. Cependant, le compositeur et son épouse retournent en Italie ; Catone in Utica est représenté à Turin en 1731, suivi par Cajo Fabriccio à Rome en 1732, puis par Demetrio et Euristeo à Venise et par Issipile à Naples. En 1733 a lieu à Bologne la première de Siroe, Re di Persia, où chantent Farinelli, Vittoria Tesi et Caffarelli.
En 1734, Hasse est de retour à Dresde, où son poste est confirmé au détriment de Zelenka par le nouveau Prince Electeur et Roi de Pologne, Frédéric-Auguste II ; il compose à l’intention de la Cour la cantate d’apparat La Gloria Sassonia ; puis le compositeur entreprend une nouvelle tournée en Italie.
En 1735, La Clemenza di Tito inaugure en grande pompe le théâtre public de Pesaro, avec Faustina dans le rôle de Vitellia, Carestini dans celui de Sesto et le ténor Amorevoli dans celui de Tito.
Entre 1737 et 1743, Hasse se trouve à Dresde et compose sur les livrets du poète de la Cour Pallavicino une série d’opere serie, tels Senocrita, Asteria ou Alfonso, souvent avec le concours de son épouse, qui interprète les premiers rôles. Après un bref séjour en Italie en 1738-1739, pendant lequel il rencontre Charles de Brosses, il remanie en 1740 son Artaserse, puis compose de nouveaux opéras sur des livrets de Zeno et de Métastase ; il entretient également des liens considérables avec les compositeurs plus jeunes et recommande Jommelli aux Incurabili de Venise.
Hasse et Métastase
Il se rend à Vienne en 1744 et a ainsi l’occasion de rencontrer Métastase ; pour la première fois, les deux hommes collaborent directement : Ipermestra est jouée en présence de la Cour impériale. Hasse devient alors le compositeur favori du librettiste, dont il se fait le représentant musical à travers toute l’Europe.
De 1745 à 1756, Hasse se trouve au service de la Cour de Dresde, pour laquelle il écrit de nombreux opéras et de la musique sacrée. En 1747, l’arrivée à Dresde de Porpora, nommé maître de chapelle, marque le début d’une rivalité acharnée entre le Saxon et le Napolitain, mais également entre Faustina et Regina Mingotti, l’élève de Porpora ; cette rivalité culmine avec la représentation de Il Filandro de Porpora en 1747, puis avec celle de Demofoonte de Hasse, l’année suivante ; Hasse menace de quitter le service du Prince Electeur ; il n’accepte de rester à Dresde qu’après avoir obtenu le poste d’Oberkapellmeister, qui le place au-dessus de Porpora. Ce dernier ne quitte cependant Dresde qu’en 1753.
En 1750, Hasse effectue un voyage à Paris, où ses œuvres sont jouées au Concert Spirituel, et à Versailles, où il rencontre Louis XV ; en 1751, son Te Deum en ré majeur et sa Messe en ré mineur inaugurent la cathédrale catholique de Dresde ; la même année, après les représentations de Il Ciro Riconusciuto, Faustina fait ses adieux à la scène ; en 1752, Hasse est à Berlin, où il est reçu avec honneurs par le roi de Prusse Frédéric II, qui compte parmi ses plus fervents admirateurs, et rencontre Carl Philipp Emanuel Bach ; en 1753, il compose Solimano pour l’Opéra de Dresde ; cet opéra est accueilli comme son plus grand chef d’œuvre. En 1755, la représentation de Ezio atteint des sommets de faste et de richesse.
Cependant, après la représentation de L’Olimpiade en 1756, la guerre de Sept Ans, qui se déroule essentiellement sur le sol saxon, contraint Hasse à quitter Dresde pour l’Italie ; en 1758, Nitteti est joué à Venise et sa nouvelle version de Demofoonte de Métastase est créée à Naples avec succès ; en 1759-1760, il écrit pour Naples de nouveaux opéras : Achille in Sciro, puis de nouvelles versions de La Clemenza di Tito et d’Artaserse.
Cependant, en 1760, Hasse apprend que ses partitions autographes, réunies dans sa maison à Dresde en vue d’une édition intégrale chez Breitkopf, ont été détruites par les bombardements prussiens. Hasse refuse cependant de tenter de reconstituer les œuvres perdues et préfère composer de nouveaux opéras : Alcide al Bivio est créé à Vienne en 1760, suivi de Zenobia à Varsovie en 1761 puis de Il Trionfo di Clelia à Vienne en 1762.
La période viennoise
En 1763, Hasse est de retour à Dresde, où il compose Siroe Re di Persia, dernier opéra destiné à la Cour de Saxe : la mort de Frédéric-Auguste II, pour lequel Hasse compose son Requiem en ut majeur, entraîne l’accession au trône de Frédéric-Christian, qui trouve la Saxe dévastée et les finances dans un état désastreux ; il renvoie donc sans pension le couple Hasse, jugé trop coûteux. Sa mort prématurée permet à Hasse de composer une nouvelle messe de Requiem en 1764 ; puis il quitte Dresde pour Vienne.
Hasse travaille alors au service de Marie-Thérèse d’Autriche et de la Cour impériale. En collaboration avec son ami Métastase, il compose, pour l’avènement de Joseph II, la festa teatrale Egeria ; en 1765, l’opera seria Romolo ed Ersilia est créé à Innsbruck, mais ne rencontre qu’un succès d’estime ; l’appui de Marie-Thérèse garantit cependant au compositeur une place considérable à la Cour ; la serenata de Métastase Partenope est jouée à Vienne en 1767, suivie en 1768 par le petit opéra Piramo et Tisbe, sur un livret de Marco Coltellini ; mais Hasse et Métastase doivent alors faire face à la concurrence croissante de Gluck et de Calzabigi.
A Vienne, Hasse encourage le jeune Haydn, puis rencontre les Mozart ; il soutient le jeune Wolfgang Amadeus et écrit pour lui des lettres de recommandation à son ami l’abbé vénitien Ortes, influent dans les théâtres italiens ; grâce à lui, Mozart obtient ses premières commandes italiennes.
La retraite
En 1771, pour le mariage d’une archiduchesse, Hasse et Métastase sont chargés d’écrire un nouvel opera seria ; il s’agit d’Il Ruggiero, inspiré de l’Arioste. Conscient des changements qui s’opèrent dans les conventions de l’opéra depuis les réformes introduites par Jommelli, Traetta ou Gluck, Hasse pousse Métastase à effectuer quelques concessions à l’opéra « réformé » ; l’opéra n’en apparaît pas moins comme conservateur ; soumis à la concurrence d’Ascanio in Alba de Mozart, ouvrage beaucoup plus moderne, il n’est représenté que quatre fois, sans succès. Ce revers aurait fait prononcer à Hasse la célèbre phrase : « Ce garçon nous fera tous oublier ». Il n’en demeure pas moins courtois et bienveillant à l’égard des Mozart, mais, appréciant peu les nouvelles modes, il renonce à composer des opéras. Il demeure à Vienne jusqu’en 1772 et rencontre le musicologue anglais Charles Burney.
En 1772, les Hasse se retirent à Venise. Johann Adolf ne renonce cependant pas à la musique : il donne des cours, écrit de la musique sacrée et des cantates, telles Il ciclope en 1775 ou La Danza en 1776, sur des textes de Métastase. Faustina meurt en 1781 ; Hasse, depuis longtemps atteint par la goutte, compose encore sa Messe en sol mineur, qu’il envoie à la Cour de Dresde, comme ses deux messes précédentes, datées de 1779 et de 1780, puis meurt en 1783, dans l’oubli le plus total ; seul Johann Adam Hiller s’acharne à défendre sa musique et compose un Lamento sur la mort de Hasse
Jean Lodez
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