Ces derniers
temps, Eva Joly annonçait son désir de remplacer le siège de la France au
conseil des Nations Unies par un siège européen, projet qu’elle a su faire
accepter au Parti Socialiste, et ce sans prendre en considération l’intérêt
supérieur de son propre pays (pardon, l’un de ses deux pays), et en faisant fi
de l’incohérence d’une telle décision puisque le Royaume Uni a lui aussi un
siège. Pour justifier cet acte odieux, Eva Joly et ses sbires ont invoqué la
destinée de l’Europe et celle de la société Européenne qu’elle incarne.
Il ne s’agira
pas ici de laisser libre cours à mes soupçons à l’endroit de la personne de la
politicienne Eva Joly, que l’on sent si prompte à privilégier l’intérêt des 26
à celui de la France, et dont le messianisme vert, si caractéristique de cette
pulsion de mort païenne qui habite l’écologisme, donne l’impression qu’un tel
personnage est tout droit sorti des Démons
de Dostoïevski.
Si je
m’intéresse ici à son cas, c’est qu’il me semble qu’elle représente l’élite
européenne, qui voyage, qui rencontre d’autres membres de l’élite jusqu’à
constituer un entre soi de bons penseurs, loge qui a de l’Europe la vision d’un
archipel constitué de grandes villes comme Paris, Londres, Bruxelles ou Berlin,
autour duquel gravitent d’autres petites îles comme Strasbourg ou Lille. Ses
positions sur l’abandon de l’automobile prouve qu’elle ne connait pas
l’industrie française, ni la société, car à part une petite minorité d’habitants
de centre-ville, l’immense majorité des Français habite dans un lieu où la
métrique automobile prime et doit en tout temps utiliser ce moyen de transport.
Ses positions sur le nucléaire indiquent un peur païenne irraisonnée et ne
considère pas les avantages économiques évidents qui font que les petites gens
payent leur électricité beaucoup moins cher que nos voisins. Quant à sa
proposition d’abolir le défilé du 14 juillet pour le remplacer par une
éco-citizen-pride, elle prouve qu’elle ne connait tout simplement pas son
sujet.
S’il devait se
concentrer sur la personne d’Eva Joly, un tel article n’aurait pas lieu d’être,
parce que sa propre personne constitue une caricature d’elle-même. S’il est une
réaction aux propos d’Eva Joly, l’article entend surtout contester une
rhétorique souvent répandue et reprise et ânonnée sans cesse sans que l’on
interrogeât son fondement et sa validité , celle de la société européenne.
Premièrement, il
faut revenir à la base de ce qu’est une société. Pour Gabriel Tarde, qu’on
devrait mieux relire pour comprendre les crises que traversent nos sociétés, la
société est avant tout un groupe humain qui partage des normes, des conduites
et une culture commune et qui est parcouru par un mouvement d’imitation qui
constitue la base du lien social. Même les innovations sont des déploiements,
des continuations, et des approfondissements de ce qui s’et fait dans le passé
(ce qui en sociologie permet de penser efficacement le rôle des traditions). Et
cette pensée pourra être développée avec Norbert Elias qui donne à la société
de cour un rôle d’impulsion dans les innovations, bien que le monde
contemporain montrent que les innovations ont des sources multiples et que le
populaire peut être ensuite repris par le savant etc.
Existe-t-elle
alors, cette Europe sociale ? Yannick L’Horty répond assez brutalement en
intitulant sa contribution au magazine Idées[i],
L’Europe Sociale n’existe pas. Selon l’économiste, les politiques sociales
différentes, le temps de travail, la part des réseaux sociaux et familiaux dans
l’obtention d’un emploi qui varient
considérablement d’un pays à l’autre ne permettent pas de parler d’Europe
Sociale, et l’auteur de déclarer : « Ces différences des structures
sociales opposent le nord et le sud de l’Europe d’un côté, et l’est et l’ouest
de l’autre”. Du point de vue économique, la plus grande contribution à ce débat
vient de l’économiste danois Gøsta Esping-Andersen qui élabore une typologie
des États providence en Europe[ii],
et ce faisant, distingue 3 types de systèmes de protection sociale : La
première catégorie est formée par le modèle libéral qui repose sur le principe
de la responsabilité individuelle universelle, et a crû dans les pays
anglo-saxons aux faibles influences catholiques et aux socialismes dispersés et
où l’État modeste est un credo. La régulation par le marché est réputée idéale
et l’État n'a qu'à encourager les services privés. Il limite strictement sa
politique d’aide aux familles et ces mesures ne sont qu’un simple filet de
sécurité. La deuxième catégorie peut être qualifiée de sociale démocrate, il
marque les États scandinaves. Ses bases sont l’universalisme et l’égalitarisme,
il en découle un rôle redistributeur, admis, de l’État, et une vision fort
large des risques sociaux. L’État adopte une politique de « défamiliarisation »
permettant aux hommes et désormais aux mères de choisir de travailler à
l'extérieur ou de rester au foyer élever leurs enfants. Le troisième modèle,
qu’on peut qualifier de conservateur corporatiste, caractérise notamment la France,
même si l’héritage de la révolution et de ses idées libérales est palpable. Le
modèle conservateur est de règle en Europe continentale et - de façon un peu
différente - en Europe méditerranéenne. L’État-providence a une origine
monarchique et est fortement influencé par le christianisme, notamment le
catholicisme. Le régime est corporatiste, car fondé sur une organisation par
types de métiers, d'où dans la multiplication des caisses spéciales de
retraite, dans certains pays. L’État adopte une politique familialiste qui
favorise le modèle du « male bread winner ». L’intérêt de cette étude est
qu’elle montre à quel point les différences économiques sont des différences
sociales et culturelles. Le travail d’Esping Andersen montre à quel point
la prégnance du catholicisme[iii],
de l’attachement à la famille ont été fondamentales dans l’élaboration des
systèmes sociaux. Ces systèmes en Europe diffèrent du tout au tout, malgré un
substrat de protection sociale en commun : Ils rendent compte de la
diversité de l’Europe et infirme l’idée d’une Europe unie sous la bannière bleu
vingt sept fois étoilée (jusqu’au prochain élargissement).
Justement,
parlons en, des différences sociales et culturelles qui ressortent d’une analyse
économique peu contestable. Comment peut on imaginer une société commune issue
des sociétés catholiques d’un coté, protestantes de l’autre ? Spontanément
et sans saper les fondements d’une Europe du nord, et de celle du sud ? Ou
en substituant l’une à l’autre (votre serviteur ne prendra pas la peine de dire
laquelle voudrait s’imposer dans une Europe régie par les marchands et les
lobbys). Cette considération explique peut être l’obsession des européistes à
mettre l’accent sur des notions telles que les droits de l’homme et la
démocratie, plutôt que de parler de culture européenne. La France ne pourra
jamais être la Grande Bretagne ni l’Allemagne ou l’Italie, car elle n’est pas
autant régulée par les marchés, ni n’a un territoire composé de Länder ou
d’anciennes cités souveraines ayant fusionné. La construction européenne ne
fait pas attention à ces détails et régionalise dans un État centralisé, avec
un bilan calamiteux pour les régions les moins attractives.
L’Europe sociale
n’existe donc pas, et employer ce terme est une absurdité. Seulement, c’est
aussi un projet politique, celui de construire cette société européenne. On ne
peut que regretter que cette construction se fasse par le biais d’une
déculturation progressive des pays d’Europe, par l’oubli et l’effacement des
particularités nationales au profil de patois ou glouglous que le politiquement
correct exige d’appeler langue régional, que dictent les choix d’une Europe
fédérale.
Je pense que
l’Europe est soumise à la même question que celle qui a secoué les États-Unis
tout au long du XIXème siècle : Droit des États ? Ou droit de la
fédération ? Bref : Confédération ou fédération ? Entre le nord
industriel et urbain et le sud agricole, la question fut réglée de manière
douloureuse. En Europe l’issue est différente : L’Europe n’a jamais connue
une destinée commune, elle a davantage été le résultat de destinées nationales ;
sinon pendant la reconquista et les croisades. L’Europe elle-même ferait mieux
de parier sur cette diversité des États qui a fait sa richesse et de parier
dans un système confédéré plutôt que de tenter la voie d’un fédéralisme impossible
qui la ferait imploser.
Balthazar de
Lomport.
Le temps historique, qui verra peut-être un jour une Europe fédérale, est beaucoup plus long que le temps politique des "cabris", comme disait fort justement le général de Gaulle.
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