jeudi 30 août 2012

Françoise MELONIO, Tocqueville et les Français, Aubier, Paris, 1993, 408 pages

Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégée de Lettres, Françoise Mélonio, après une thèse de doctorat en littérature médiévale à l’Université Toulouse-Le Mirail, a soutenu en 1991 sa thèse d’Etat sur Tocqueville dans la culture française. Elle s’est ainsi affirmée comme une spécialiste de Tocqueville et d’histoire culturelle de la France contemporaine, au carrefour de l’histoire des idées politiques et de la littérature, contribuant à l’édition des œuvres de Tocqueville à la Pléiade, à l’Histoire culturelle de la France publiée au Seuil en 1998 ou à la partie consacrée au XIXe siècle de La littérature française, dynamique et histoire, publié en 2007 sous la direction de Jean-Yves Tadié. Tocqueville et les Français, publié en 1993, s’inscrit directement dans le champ d’investigation de la thèse d’Etat de l’auteur, qui se propose d’examiner, au travers de la réception de l’œuvre d’Alexis de Tocqueville, l’histoire de l’élaboration d’un modèle français de démocratie. En effet, Françoise Mélonio note que les Français du XIXe siècle ont cherché la réponse à la question posée par la singularité française dans la Révolution, suivis par les historiens, qui font de l’histoire de la transition démocratique celle d’une Révolution qui s’étire. L’objet de l’ouvrage est donc de secouer la « fascination tyrannique des origines », qui réduit le XIXe siècle à un « entre-deux » (p. 7). Or, dans la réflexion sur française sur l’invention de la démocratie, l’œuvre de Tocqueville paraît surplomber les autres, de sorte qu’il est nécessaire d’entreprendre la « chronique de la conversation querelleuse des Français avec Tocqueville » (p. 8). En effet, si De la démocratie en Amérique devient un classique aux Etats-Unis dès 1835, son auteur, alors qu’il est aujourd’hui souvent exalté comme « prophète » (p. 12), semble largement délaissé de 1880 à 1950, relégué dans l’archaïsme par l’essor des sciences de l’homme.

samedi 11 août 2012

Bref tour d’horizon de la discographie de Hasse (6) : Les cantates de chambre


Si Johann Adolf Hasse s’est illustré dans le genre de l’opera seria, qui pouvait prendre des dimensions monumentales (jusqu’à quatre ou cinq heures de musique), il a également pratiqué des formes nettement plus brèves, notamment la cantate. Bien qu’il soit demeuré dans ce domaine beaucoup moins productif que son maître Alessandro Scarlatti, auteur de sept cents cantates, il a ainsi composé environ quatre-vingts cantates. Par commodité, nous distinguerons les cantates de chambre, pour voix avec accompagnement de basse continue et parfois d’un ou deux instruments de dessus (flûtes ou violons), issues du genre de la cantate italienne du XVIIe siècle, des cantates avec accompagnement d’orchestre, souvent elles aussi désignées comme « cantate da camera », mais nettement plus proches de l’opéra. On peut y ajouter des airs séparés, qui se rattachent par leur style à l’un ou l’autre genre.
Les cantates de chambre de Hasse, souvent composées sur des textes poétiques pastoraux et sentimentaux marqués par l’influence arcadienne, suivent un modèle simple (deux airs, chacun précédé d’un récitatif, parfois accompagné). Mobilisant peu de moyens, ces cantates, même si leur immense majorité demeure à redécouvrir, ont fait l’objet de plusieurs enregistrements de valeur inégale.

Cantates, volume 1, par Lia Serafini, Gabriela Martellacci et l’Accademia del Ricercare dirigée par Pietro Busca

On peut mentionner tout d’abord le disque paru en 2008 chez Brilliant Classics et désigné comme le « volume 1 » d’une série qui semble cependant n’avoir pas été continuée, ce qui est dommage, malgré les faiblesses de l’interprétation (le chant aussi bien que l’accompagnement instrumental de l’Accademia del Ricarcare semblent souvent très brouillons), qu’aggrave une prise de son lointaine et défaillante ; en effet, le disque, malgré ses travers, permet de découvrir des pages intéressantes et inédites au disque, notamment l’aria pour soprano, violons et basse « Come l’ape », encore fortement marquée par l’influence d’Alessandro Scarlatti, la cantate Il  nome, pour alto, flûte et basse continue, sur un texte de Métastase repris ultérieurement par Hasse à Vienne avec un accompagnement instrumental plus développé, ou l’aria « Muta è l’imago », très élégante et assez caractéristique du style de Hasse au début de sa carrière.

Bella mi parto, par Kai Wessel et Musica Alta Ripa

De facture nettement supérieure, Bella mi parto déçoit cependant en raison du caractère souvent trop lisse et terne de l’interprétation, ainsi que du choix de pièces instrumentales (une sonate pour clavecin, une sonate en trio et un concerto pour mandoline) qui sont loin de relever du meilleur de la production de Hasse, même dans ce domaine. Les cantates retenues, typiques du genre de la cantate de chambre, composées sur des poèmes marqués par l’Arcadie, sont cependant intéressantes, surtout Se il cantor trace, où la comparaison du poète à Orphée donne lieu à une musique très mélancolique et expressive, tant dans les récitatifs (où les arpèges des violons imitent la lyre) que dans les airs ; on peut noter aussi la beauté et le raffinement des récitatifs accompagnés très théâtraux de Ah troppo è ver. L’interprétation du contre-ténor Kai Wessel, bien qu’agréable, tend à manquer parfois de relief.

Cantates, ballades et sonates, par Julianne Baird et Nancy Hadden

Le disque qu’il faut recommander, en ce qui concerne les cantates de chambre, est plus probablement celui de la soprano Julianne Baird, qui interprète un beau programme construit autour de deux cantates avec accompagnement de flûte et basse continue ; le premier air de la cantate Quel vago seno, o fille, qui ouvre l’enregistrement, une envolée élégante dont le style rappelle l’opéra et où la flûte, loin d’être cantonnée à l’accompagnement du chant, a un véritable statut de soliste, permet d’entendre des interprètes qui parviennent à restituer la délicatesse de cette musique sans pour autant l’affadir. La cantate Fille, dolce, moi bene, moins remarquable, n’en demeure pas moins une belle découverte. On peut noter aussi que les pièces instrumentales (la sonate pour flûte en si mineur et la sonate pour clavecin en ut mineur, toutes deux en quatre mouvements), contrairement à celles qu’a retenues Musica Alta Ripa, sont intéressantes et interprétées sans mollesse. La réduction pour viole de gambe et clavecin de l’aria « Ah Dio ritornate » de l’oratorio La conversione di sant’Agostino est sensible, délicate et agréable. Les quatre ballades vénitiennes qui concluent le disque sont d’attribution douteuse, à l’exception de « Grazie agl’inganni tuoi » ; ce sont de courtes pièces simples et élégantes.

Jean Lodez