Ce compte rendu est le premier d'un cycle de
conférences tenues lors du colloque organisé par l'Action française le 27
octobre 2012 pour le soixantième anniversaire de la mort de Charles Maurras...
D'autres suivront, mais on ne trouvera pas toutes les conférences car notre
intention n'est pas de rapporter intégralement le colloque, mais seulement les
interventions que nous avons -tout à fait subjectivement - trouvé les plus
originales. A toutes fins utiles, précisons que, si nous nous efforçons de
rapporter fidèlement ces conférences, toute erreur ou imprécision peut nous
être imputée ; et que par ailleurs nous ne nous interdisons pas certaines
libertés pour rendre plus intelligibles des exposés donnés dans un temps très
limité.
L'orateur énonce la
thèse selon laquelle la politique se résume pour Maurras à une «universelle
analogie», ce qu'il va démontrer. Mallarmé, lui, parlait du «démon de
l'analogie». Les démons, daïmon, au sens grec, sont des esprits qui font le
lien entre les dieux et les mortels et qui inspirent les hommes. L'analogie,
est désignée aussi (pour employer le français) par le terme de correspondance.
Dans la poésie de Baudelaire, c'est ce qui met en contact la Terre et le Ciel.
L'étymologie grecque ana-logos traduit un mouvement d'ascension de la pensée.
Ainsi, l'analogie est verticale et toujours inégalitaire. C'est la clef de la
pensée hiérarchique de Maurras. Il est intéressant de noter qu'à l'instar des
poètes, les scientifiques utilisent un jeu d'images (par exemple l'image du Big
Bang) ; et de même les philosophes.
Platon, avec le
mythe de la caverne, met en scène ce mouvement analogique. Le prisonnier
délivré qui contemple le monde réel à la lumière du soleil réalise l'anabase.
Mais il doit ensuite, malgré qu'il en ait, redescendre parmi ses semblables qui
sont encore les dupes d'un jeu d'ombres. C'est la catabase. Ces derniers sont
pourtant incapables de croire la vérité qui leur est annoncée et mettent à mort
l'auteur du scandale... Suivant l'analogie platonicienne, l'orateur rappellera
que c'est la démocratie qui mit à mort Socrate, accusé de ne pas reconnaître
les dieux de la cité et d'y introduire « des divinités nouvelles », déformant
les révélations que le philosophe faisait au sujet de son démon personnel.
De leur côté, les
partisans de l'égalitarisme utilisent plutôt la catalogie que l'analogie. De cata-logos
découle aussi le terme de catalogue, c'est-à-dire ce qui regroupe des objets
afin de les placer tous sur le même plan. Le Pr rappelle ici la critique que
fit Platon de la démocratie dans La République. Par ailleurs, alors que
l'analogie est un principe de continuité, la catalogie est un principe de
discontinuité, de rupture. D'où la haine du passé que partagent les partisans
de l'égalitarisme...
Dans l'œuvre des
poètes qui ont été évoqués, on voit l'influence d'Homère. Pour Homère/Ulysse en
effet, l'ordre de la cité correspond à l'ordre du monde. L'orateur cite ici une
tirade d'Ulysse dans Troïlus et Cressidade Shakespeare :
«Quand l'ordre
[degree] est travesti,
Le moins digne
paraît dans le masque aussi digne,
Les cieux eux-mêmes,
les planètes, et ce centre
Observent une
hiérarchie [degree], le rang, la préséance (...)
Ah ! Si la
hiérarchie vacille,
Elle qui est
l'échelle de tous les grands desseins,
L'entreprise est
malade.»
Cette pièce, comme
l'ensemble de l'œuvre de Shakespeare, est portée par l'idéal aristocratique,
qui était déjà partagé par les poètes antiques tels Pindare, Eschyle, Sophocle
et bien entendu le premier d'entre eux Homère... La morale aristocratique est
aussi fondamentale avec Platon : on se souvient du conseil d'«être partout le
meilleur et surpasser en tout les autres ». Même dans la démocratie grecque, il
n'y avait pas grand chose de la démocratie contemporaine... Seuls les hommes
mûrs étant citoyens, la citoyenneté concernait à peu près 10% de la population.
Cette démocratie était au fond surtout aristocratique. On oublie d'ailleurs
trop souvent que Clisthène, le fondateur de la démocratie était un aristocrate.
Maurras doit donc à
Homère, Shakespeare et Poe de découvrir dans les légendes et les mythes le
principe d'analogie et de hiérarchie. Comme le maître devait le déclarer un
jour, il avait fallu que l'idée de hiérarchie revienne d'Amérique par Edgar
Poe... Le poète affirmait en effet que «le monde matériel est plein d'analogies
avec le monde immatériel».
Il n'est guère
étonnant ainsi que Maurras et Boutang aimaient tant à citer le fameux passage
du Colloque entre Monos et Una de Poe : «En dépit de la voix haute et salutaire
des voix de gradation qui pénètrent si vivement toutes choses sur la Terre et
dans le Ciel, - des efforts insensés furent faits pour établir une Démocratie
universelle.»
Edgar Poe avait en
effet découvert avec horreur l'homo
democraticus en Amérique ; et ce seulement quelques années après la fameuse
critique qu'en avait fait Tocqueville. Il prévoyait que la démocratie
aboutirait au despotisme de Mob (la canaille). C'est pourquoi «il ne faut
jamais aller à rebours des analogies naturelles» ; ce qui constitue le péché
des égalitaristes. Poe pouvait donc à bon droit plaisanter la nouvelle religion
du monde moderne : «La démocratie est une admirable forme de gouvernement...
pour les chiens».
La gradation est
donc un concept-clef que Maurras retient de Poe (par l'intermédiaire de
Baudelaire, il s'entend). Elle revient sous sa plume à mainte occurrence. Dans
une lettre datée de 1951 - près de la fin - qui était une réponse à un
professeur d'Université des Etats-Unis, Charles Maurras insistait encore sur ce
thème. C'est pourquoi Stéphane Giocanti parle au sujet de Poe d'un «maître
américain de Maurras».
Jean Darcey
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