lundi 30 avril 2012

M. Sarkozy et son Gouvernement ont-ils amélioré nos institutions ? Analyse de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (1)


Née au milieu d'une crise grave, la guerre d'Algérie, et voulue par un homme possédant une forte légitimité populaire, le général de Gaulle, la Ve République est, de loin, celle qui a laissé le moins de place et de pouvoir au Parlement. Ainsi, symboliquement, alors que la Constitution de 1946 s'ouvrait sur le rôle et le fonctionnement du Parlement, la Constitution de 1958 ne pose les règles qui le régissent que dans le titre IV, après celles relatives au Président de la République et au Gouvernement. De même, elle n'accorde pas une place aussi grande au pouvoir judiciaire que dans d'autres démocraties occidentales : celui-ci est conçu comme une autorité, non dépourvue de tout lien, à travers un système de nominations, avec le pouvoir exécutif. Ce dernier est largement favorisé.
 

Aussi l'angle d'attaque permettant de discréditer les institutions nouvelles était-il en 1958, tout trouvé, et François Mitterrand pouvait publier, en 1964, un opuscule au titre révélateur, Le Coup d'Etat permanent. Ces critiques virulentes se sont peu à peu éteintes, car il est apparu que les institutions étaient largement consensuelles. Dès lors, il restait de la place pour des révisions ne modifiant pas sensiblement l'équilibre des pouvoirs, tout en prenant en compte certaines des critiques adressées au régime. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 en est la meilleure illustration. D'une grande ampleur par le nombre d'articles qu'elle modifie ou crée de toute pièce, elle est intervenue à la suite des travaux du « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République ». Les trois thématiques abordées dans le rapport reflètent très exactement, a contrario, les catégories de reproches adressées à la Constitution : renforcer le Parlement, mieux défendre les droits des citoyens, mieux contrôler l'exécutif. Avec plus de trois années de recul, il est possible de confronter la pratique de cette réforme à son texte. Pour ce faire, il convient de distinguer les changements véritablement significatifs de ceux qui se seront révélés de beaucoup plus faible ampleur. Et, pour chacun d'entre eux, se demander si nos institutions y ont vraiment gagné en efficacité et en légitimité.

Notre étude, composée de quatre volets, abordera d'abord le versant parlementaire de la réforme, en interrogeant la revalorisation du pouvoir législatif (c'est l'objet de cette publication - 1)  puis en réfléchissant sur les modifications intervenues dans l'équilibre des pouvoirs (2). Elle creusera ensuite les implications induites par la question prioritaire de constitutionnalité, à l'échelle des citoyens (3) et à l'échelle de l'Etat, en déterminant ce que la France a emprunté à l'étranger à l'occasion de cette révision (4).

 1) Revaloriser le pouvoir législatif


Le Parlement est au cœur de la révision constitutionnelle de 2008. Le changement le plus marquant est à chercher, selon un grand nombre de constitutionnalistes, dans l'examen en séance du texte amendé en commission, et non de celui qui était proposé par le gouvernement[1]. Il s'agit « pour les parlementaires de pouvoir voter des amendements en commission », étant sous-entendu que ceux-ci auront de sérieuses chances de figurer dans le texte final. Ainsi, les parlementaires se trouvent incités à siéger en commission. La séance est également revivifiée, puisqu'on peut s'y concentrer sur les questions de fond, en écartant le travail rédactionnel. Les ministres se voient obligés de venir en commission pour défendre leur texte, ce qui renforce indéniablement le pouvoir législatif. Les évolutions relatives à l'ordre du jour des assemblées sont également d'une portée significative[2], comme le confirment les parlementaires qui ont vécu en pratique le changement. La primauté du gouvernement est fortement remise en cause, puisqu'il conserve la priorité absolue sur deux semaines par mois seulement. Les assemblées ont la maîtrise de leur ordre du jour lors des deux autres semaines, ce qui a des conséquences autant quantitatives que qualitatives. En effet, comme le prévoit la réforme, il y aura davantage de séances consacrées à un ordre du jour non législatif[3]. La pratique révélera si, par exemple, l'on peut affirmer que les débats sur les conclusions des commissions d'enquête, auparavant relativement rares, deviennent systématiques.

Mais ces deux aspects de la réforme de la procédure législative sont avant tout très symboliques. Le gouvernement peut tout à fait faire revoter son texte par des députés consentants, de même que les députés pouvaient autrefois revenir au texte de la commission s'ils souhaitaient contrarier le gouvernement. De même, l'ordre du jour a, en fait, toujours été concerté[4], sous une domination du gouvernement qui demeure dans les faits : la majorité est assurée de dominer la conférence des présidents, ce qui la met en mesure d'offrir au gouvernement le temps dont il a besoin. Ainsi, la révision constitutionnelle ne semble pas profondément remettre en cause la place laissée au Parlement en 1958, instituant des exceptions de nature à relativiser durablement l'ensemble des mesures instituées. Et pour cause : aller plus loin eût signifié remettre en question en profondeur un équilibre des pouvoirs fragile et précieux, comme nous le verrons.

Christian d'Aussois




[1] Cf. article 42, intégralement réécrit en 2008.
[2] Cf. article 48.
[3] Cf. plus particulièrement le quatrième alinéa de l'article 48.
[4] La Constitution, Guy Carcassonne, Points Essais, 2011, p. 236.

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