A la suite de mon article « Un aveu de taille du quotidien La Croix », un commentateur anonyme me faisait le reproche qui suit :
A mon avis, il n'y a pas de discussion, d'arguments, d'idée intéressante, originale dans cette recension. Je m'attendais à un vrai contre-débat. La recension est juste une recherche d'indices, de mots clés pour ensuite classer dans des catégories connues. C'est un travail mental, mais pas intellectuel, à mon humble avis...
Première précision : cet article ne se voulait pas une recension, au sens d’un compte rendu critique d’un ouvrage. Si recension il y a, c’est l’article du P. Neusch, qui fait bel et bien la recension de l’ouvrage d’un théologien orthodoxe.
Deuxième précision : mon article, dit le commentateur, a le tort d’être une « recherche d’indices ». Sur ce point, je suis prêt à lui donner entière raison : il s’agit de lire les textes et d’y rechercher les indices qui permettent d’en identifier les principales lignes ; à ceci près peut-être qu’ici, il ne s’agit plus d’un indice, mais d’une preuve, citation et référence à l’appui, qu’une partie au moins de la rédaction de La Croix est favorable à l’accès des femmes aux ordres sacrés, en contradiction formelle avec l’enseignement le plus constant et le plus solennel du Magistère romain.
Troisième point, découlant du précédent : ce n’est pas un travail « intellectuel », on n’y trouve pas d’ « idée intéressante, originale ». Mais précisément ! ai-je envie de m’écrier. Est-il question d’avoir des idées intéressantes et originales ? Non. Il est question de relever les faits et de les interpréter si besoin est : et j’accorde bien volontiers au commentateur que dans le cas de cet article, le P. Neusch s’étant exprimé de la manière la plus claire qui soit, ce qui, il faut bien le dire, est à son honneur, quoique son propos soit désolant, l’interprétation n’allait pas bien loin. Qu’à cela ne tienne ! Est-il donc toujours nécessaire d’avoir une idée originale ? Faut-il à une idée, pour être intéressante, qu’elle soit originale ? Ne lui suffit-il pas d’être vraie, c’est-à-dire adéquate à son objet ?
Je tiens donc à revendiquer ici hautement de n’être pas original : car il me semble que ce n’est pas d’idées originales que manque aujourd’hui l’Eglise, bien au contraire. Des idées originales, ses enfants turbulents n’en ont que trop eu – hélas. Le commentateur me reproche de « classer dans des catégories connues ». Il aurait pu reprocher aussi au P. Neusch, prêtre catholique, des Augustins de l’Assomption, de refuser, et sans la moindre discussion, les arguments avancés par les Papes. « Catégories connues » ? Assurément, et c’est heureux ! C’est parce qu’elles sont vraies que l’on ne répètera jamais assez les « catégories (supposées) connues » du Magistère ecclésiastique.
L’abbé Victor-Alain Berto, en son temps, parlait en termes inimitables de cette « théologie non-euclidienne » « absolument hétérogène à la foi des simples ». En ce qui me concerne, je ne prétendrai certainement pas avoir voulu faire œuvre de théologien ; je n’en ai ni n’ambition, ni la compétence. Mais je n’ai besoin ni de l’ambition, ni de la compétence d’un théologien pour dénoncer, avec raison me semble-t-il (sans quoi je n'aurais pas écrit), les manifestations les plus flagrantes et les plus éhontées de mépris du Magistère romain. Mes raisons manquent-elles d’originalité ? Qu’à cela ne tienne : de cela et de cela seulement, je me glorifierai. Car, disait l’abbé Berto,
La théologie est une science mauvaise, une science méchante, une science maudite, si elle se vide de son contenu primordial, qui est un catéchisme identique au catéchisme du plus illettré des chrétiens. Je crois ce que croient nos enfants, et malheur à moi si je ne le croyais pas, et en un sens très vrai, je n'en sais pas plus long qu'eux.
Il écrivait encore :
La plus sublime théologie doit toujours pouvoir être monnayée en catéchèse pour les plus simples du peuple fidèle, autrement sa sublimité n'est que leurre. Car il n’en va pas de la théologie comme de la géométrie non-euclidienne. Celle-ci n’a pas besoin d’être réelle, ni de se donner pour réelle ; elle peut sans dommage se donner pour ce qu'elle est, un jeu extra-spatial sur des symboles arbitrairement définis, et on a toujours l’euclidienne pour faire des outils ou pour construire des ponts.
Mais la Théologie est par nature existentielle ; elle a besoin d'être réelle (elle exige intrinsèquement de l'être), elle ne peut sans se détruire consentir à ne l'être pas.
Il nous prévenait ainsi contre une tentation parmi les plus fâcheuses qui soient aujourd’hui dans le (petit) milieu catholique : ce que j’appellerais la tentation intellectuelle, et que je définirais par la priorité accordée à ce qui est intellectuellement intéressant (voire à ce qui est intellectuellement divertissant) sur ce qui est doctrinalement (voire dogmatiquement) vrai. Or l’Eglise ne nous demande pas d’être intellectuellement originaux, mais d’être fidèles à ses enseignements – ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle ne nous demande pas d’être intelligents. C’est peut-être tout l’enjeu de ce commentaire anonyme, qui parlait d’un « travail mental », opposé au « travail intellectuel ». Eh bien oui ! Plutôt le simple « travail mental », terre à terre et méthodique, que le travail gouverné par la tentation intellectuelle.
Cette tentation, il est vrai, ne concerne qu’une frange infime du troupeau déjà fort réduit des brebis de Jésus-Christ ; et l’on ne peut en général que déplorer l’ignorance dramatique de la doctrine chrétienne ou la réduction de la foi aux élans de la sensibilité que l’on trouve répandues presque partout. Mais précisément, ce n’est pas par la tentation intellectuelle et par les sublimes constructions non-euclidiennes qu’elle échafaude que l’on y remédiera, bien au contraire.
Louis-Marie Lamotte
Merci de partager autant d'informations. J'ai vraiment apprecié de lire cette article. Continuez !
RépondreSupprimerDR WISSLER