jeudi 26 avril 2012

Réconciliation ou esprit de parti ?

Pour poursuivre notre réflexion sur la réconciliation des catholiques, nous reproduisons, avec l'autorisation de son auteur, un message posté par Peregrinus sur le forum Fecit. Pour la commodité de la lecture, le texte a été très légèrement modifié afin de pouvoir être lu hors du contexte de l'échange où il prenait place.

S'il faut attendre que le Pape et la Curie soient parfaits sous tous rapports avant de faire quoi que ce soit, nous ne ferons jamais rien. Il est permis de penser que Léon XIII ou Pie XI ont commis, sur le plan politique ou pratique, des erreurs qui parfois n'ont pas été sans conséquences. Ces erreurs, me semble-t-il, n'ont pas servi aux catholiques du temps à invoquer sans cesse l'état de nécessité.
L'état de nécessité, me semble-t-il, est lié à ce que Mgr Lefebvre appelait en 1988 l'opération survie de la Tradition, opération de survie tant liturgique que doctrinale qui rendait certainement nécessaires les sacres. Il me semble que l' "étape" de la survie de la Tradition liturgique, malgré les résistances rencontrées un peu partout et le chemin qui reste à parcourir, est désormais franchie. Si le Saint-Père accorde maintenant le plus officiellement du monde la survie de la Tradition doctrinale, je ne vois pas quel motif pourrait justifer un état de nécessité qui courrait le risque de se transformer en esprit de parti ou en tentation de se regarder comme les seuls purs. Or, quand bien même les traditionalistes seraient absolument purs, ce qui n'est pas mon cas, Notre-Seigneur n'a pas dédaigné de manger avec les publicains et les pécheurs ; peut-être ne devrions-nous pas l'oublier.
En effet, il ne s'agit pas de s'apitoyer sur le Pape, mais de lui témoigner le respect et l'amour que nous lui devons, parce qu'il est le Successeur de Pierre, établi par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être le chef de son Eglise et son Vicaire en ce monde. Dès lors que la survie de la Tradition est assurée, l'invocation de l'état de nécessité au nom d'initiatives qui ne nous plaisent pas n'a plus guère de sens face à la nécessité, autrement plus impérieuse, de rappeler que nous sommes les enfants de l'Eglise catholique, apostolique et romaine.
Je n'apprécie pas beaucoup plus que ceux qui s'inquiètent aujourd'hui d'un éventuel accord les réunions interreligieuses, qui me causent une vive douleur, parce qu'elles humilient souvent l'Eglise de Dieu et détournent les efforts comme la prière des fidèles du salut des âmes. Mais il n'est pas possible d'affirmer une stricte équivalence entre Assise 2011 et Assise 1986 ; l'on n'a pas vu, me semble-t-il, de poulets égorgés au saint autel. Le Saint-Père s'est explicitement défendu de tout syncrétisme et a rappelé que c'est en Jésus-Christ que nous trouvons le salut. La réunion d'Assise est en elle-même dangereuse, quelle que soit l'intention du Pape, parce qu'en dépit de cette intention elle a une portée aussi bien doctrinale que pastorale ? Certes ; mais après tout, Léon XIII, dans la France des années 1890, s'est bien appuyé sur le républicain libéral impénitent qu'était Etienne Lamy pour organiser politiquement les catholiques ; cela ne fait pas pour autant de lui un Pape libéral et doctrinalement condamnable.
Je suis sensible comme ces catholiques inquiets au risque d'anglicanisation de l'Eglise. Mais "rompre" (pour reprendre leur propre vocabulaire) avec notre Mère l'Eglise de Rome sous prétexte de refuser le communautarisme, c'est encore faire oeuvre de communautarisme, c'est cultiver, précisément, notre pré carré, notre jardin secret, sans en distribuer les bons fruits à toutes les âmes affamées qui en ont tant besoin, sans apporter à ces âmes laissées à demi mortes sur le bord de la route par les doctrines modernistes, la vraie saveur de l'Evangile et les grâces de la messe de toujours.
On ne combat pas le morcellement doctrinal par le morcellement doctrinal ; et, quelque timide que soit la relative reprise en main romaine, quelque démesuré que soit le mal en comparaison des remèdes qu'on lui apporte, il semble bien que Rome manifeste ces derniers temps une certaine volonté de remettre en ordre l'Eglise infestée des fumées de Satan : que l'on songe ainsi à ces rédemptoristes irlandais condamnés par la Congrégation par la Doctrine de la Foi ; aux rites douteux du Chemin néocatéchuménal examinés par la même congrégation ; aux dérives graves des religieuses américaines dénoncées et combattues. Rome ne s'est pas faite en un jour, et elle ne se refera pas en un jour ; mais elle ne peut se refaire que sur la pierre sur laquelle Notre-Seigneur a voulu fonder l'Eglise contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront pas.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que depuis l'accession de Benoît XVI au trône de saint Pierre, tout va pour le mieux dans l'Eglise, loin de là. Certaines initiatives, certains discours me laissent perplexes. Mais d'une part, il faut prendre garde au risque de réduire toute notre vie spirituelle à l'analyse de la crise de l'Eglise, au risque de tomber dans un mauvais esprit de surenchère et de zèle amer ; et d'autre part nous avons, me semble-t-il, le devoir de reconnaître et d'accueillir avec joie tout ce qui se fait de bon, c'est-à-dire également tout ce qui se fait de bon en-dehors de nos chapelles, si belles soient-elles : le reste, à mon avis, ne relève pas du service de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais de l'esprit de parti.

Peregrinus

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