Compositeur catholique, Johann Adolf Hasse a composé de nombreuses œuvres sacrées tant pour l’institution vénitienne des Incurabili que pour la cour catholique de Dresde : on peut citer ainsi une dizaine de messes, deux Requiem, des Te Deum, des psaumes, écrits dans un style concertant très italien. Ce répertoire sacré choral a fait l’objet d’un certain nombre de disques, parfois de bonne qualité artistique.
Le Miserere en ut mineur et le Requiem en ut majeur
L’une des œuvres les plus enregistrées est peut-être le Miserere en ut mineur, composé à Venise pour les Incurabili vers 1730 et remanié pour la Cour de Dresde : le chœur de femmes est remplacé par un chœur mixte, le verset soliste Tibi soli peccavi, initialement composé pour soprano, est entièrement réécrit, cette fois pour basse ; aux cordes sont ajoutés deux flûtes et deux hautbois. C’est cette version dresdoise que l’on peut trouver le plus aisément, généralement en complément du Requiem en ut majeur, l’une des œuvres sacrées les plus importantes de Hasse, composée en 1763 pour les funérailles de l’Electeur de Saxe. Il s’agit d’une œuvre imposante, qui surprend par son atmosphère tout à la fois confiante (par exemple, dans le tendre Exaudi orationem meam de l’Introït, dans le Quaerens me pour ténor ou dans l’Inter oves pour alto, avec flûtes, hautbois et bassons obligés), lumineuse et solennelle (l’œuvre s’ouvre au son des trompettes et des timbales, qui rappellent la dignité royale du défunt), ce qui n’exclut pas cependant le dramatisme (dans le Lacrimosa, notamment, où l’entrée des voix en imitation sur Dum resurget ex favilla suggère la résurrection des corps) ou les références à la tradition de la musique sacrée (la fugue centrale du Kyrie ou le premier verset de l’Introït, qui rappelle le plain-chant).
Ces deux œuvres ont bénéficié de deux enregistrements. Le premier est celui réalisé dans les années 1990 par Paul Dombrecht à la tête de son ensemble Il Fondamento, le second est celui qu’à fait paraître plus récemment l’Orchestre baroque de Dresde, dirigé par Hans-Christoph Rademann. La différence de ton entre les deux interprétations est perceptible dès les premières notes de l’Introït : tandis que Dombrecht souligne l’étrangeté de l’antienne en ut majeur Requiem aeternam, accompagnée de trompettes et de timbales, en adoptant un tempo presque dansant et festif, Rademann met l’accent sur la calme solennité de la partition. Le contraste entre ces deux approches se vérifie tout au long de l’œuvre. Je donne en ce qui me concerne ma préférence à la seconde, qui se montre plus soucieuse d’illustrer le texte de la liturgie des défunts et traite l’orchestre avec davantage de relief, notamment dans le Tuba mirum et le Lacrimosa. Cette version du Requiem de Hasse mérite certainement d’être considérée comme l’un des meilleurs enregistrements consacrés au Saxon.
Le Te Deum en ré majeur et les Litanies Laurétanes
Le Te Deum en ré majeur, écrit pour l’inauguration de la cathédrale catholique de Dresde en 1751, a été récemment enregistré par l’Ensemble vocal saxon et la Batzdorfer Hofkapelle, dirigés par Matthias Jung. L’œuvre surprend par sa concision (en trois mouvements seulement ; elle dure moins d’un quart d’heure) et sa profonde unité : pratiquement tous les passages chantés par le chœur sont fondés sur un même motif d’une seule mesure, aussitôt donné par l’orchestre (cors, trompettes, hautbois et timbales viennent renforcer les cordes et la basse continue). Le Regina Caeli en ré majeur, écrit pour alto solo, chœur et orchestre sur le modèle de l’aria da capo, a été vraisemblablement composé à la même occasion.
Le disque comprend également le premier enregistrement mondial des Litanies Laurétanes en fa mineur, écrites pour les offices catholiques de la Cour de Dresde vers 1750 et vraisemblablement jouées les samedis au cours de l’après-midi. L’œuvre, extrêmement intéressante, montre l’habileté déployée par le compositeur pour mettre en musique avec variété un texte (quarante-quatre invocations à la Sainte Vierge) qui semble se prêter mal à une musique figurée. Elle est conclue par un Sub tuum praesidium en ut mineur, à la fois très bref et d’une grande force expressive obtenue au moyen de l’alternance des solistes et du chœur. Enfin, le disque présente deux Tantum ergo, composés en 1755 et vers 1780.
Cet enregistrement est vraisemblablement l’un des meilleurs qui aient été consacrés à la musique sacrée chorale de Hasse. Aussi bien l’orchestre que le chœur et les solistes interprètent la musique avec sobriété, mais conviction et propreté, ce qui mérite d’être signalé.
La Missa ultima en sol mineur
C’est par une messe que Hasse a conclu sa longue carrière de musicien : en 1783, peu de temps avant sa mort à Venise, il envoyait ainsi à Dresde sa Missa ultima en sol mineur. Le premier Kyrie est un mouvement choral dramatique, accompagné par les cordes, les hautbois et les cors, qui met bien en évidence le caractère litanique du chant. Le Christe, duo de soprano et d’alto accompagné par les flûtes, offre ainsi un fort contraste, d’autant plus marqué qu’il est suivi par une brève, mais sévère fugue qui revient à une atmosphère nettement plus sombre. Le Gloria, cœur de cette œuvre de Hasse, se compose de huit mouvements qui font alterner solistes et chœur. On peut noter le Qui tollis peccata mundi, où la voix de soprano soliste dialogue avec le chœur, le hautbois et le basson obligés, qui créent une atmosphère lumineuse et toute classique. Le Gloria est conclu par une fugue jubilante sur Cum sancto Spiritu in gloria Dei Patris. Le Credo, nettement plus bref, ne comprend que trois mouvements, si l’on excepte la brève fugue finale, un mouvement central plus méditatif, qui correspond à l’Incarnation et à la Passion du Christ, venant contraster avec les deux mouvements joyeux qui l’encadrent. Vient ensuite un motet à deux voix (soprano et alto), Ad te levavi animam meam, dont le texte latin aurait été écrit par Hasse lui-même (« Vers vous, Seigneur, j’ai élevé mon âme, vers vous, Seigneur, j’ai crié, vers vous, dans la tribulation, vers vous j’ai crié ; ma douleur, Seigneur, vous l’avez adoucie dans votre clémence, vous m’avez libéré de la main inique ; ah, sauvez-moi, source de la bonté souveraine, et enchaînez mon cœur par les liens de la charité. O Jésus ! Ah, sauvez-moi, source de la bonté souveraine ! »). Au Sanctus triomphal et jubilant, avec trompettes et timbales, succède un Benedictus pour soprano solo méditatif, où l’orchestre se teinte de douces couleurs de flûtes, avant la répétition de l’Hosanna in excelsis. L’Agnus Dei est peut-être la pièce la plus surprenante de cette messe, qu’il vient clore sur un rythme de marche en sol majeur, à la fois solennel et apaisé.
Cette très belle œuvre a été enregistrée chez Carus-Verlag par Ludwig Güttler, à la tête de ses Virtuosi Saxoniae et de l’Ensemble vocal saxon, à l’occasion de la réouverture de la Frauenkirche de Dresde. Si l’interprétation donnée par le chœur est tout à fait satisfaisante, les faiblesses des solistes apparaissent cruellement. La basse Egbert Junghanns, notamment, chante avec peu d’élégance les vocalises du Domine Deus du Gloria, tandis que le ténor Gerald Hupach semble même mis à mal par l’intonation grégorienne du Credo. L’orchestre se montre dans l’ensemble correct, même si l’on peut regretter l’usage d’instruments modernes qui tendent trop souvent à effacer les couleurs propres à cette musique. L’enregistrement n’en est pas moins recommandable en tant qu’il permet de découvrir à peu près honnêtement une grande œuvre sacrée de Hasse, en attendant que les messes tardives du compositeur (trois messes écrites entre 1779 et 1783) attirent l’attention d’un chef talentueux.
Note : J'ai pour l'instant laissé de côté quelques enregistrements qu'il convient de ranger dans cette catégorie : notamment le Te Deum en sol enregistré par Ludwig Güttler ou la messe en ré. Ils feront sans doute l'objet de notices ultérieurement.
Jean Lodez
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