Si l’on veut découvrir la musique de Johann Adolf Hasse sous un jour plus flatteur, il faut donc se tourner vers sa musique sacrée. On peut signaler tout d’abord, dans un style proche de celui du théâtre, les oratorios. Il ne s’agit pas ici de faire une critique systématique et méthodique des différents enregistrements, mais de fournir à une personne qui ne connaîtrait que très peu Hasse un petit guide pratique qui lui permettrait de se familiariser avec sa musique.
Serpentes ignei in deserto, oratorio latin vénitien de la fin des années 1730, a été enregistré à Ambronay de manière tout à fait convenable par les Paladins de Jérôme Corréas, malgré une distribution vocale inégale. L’oratorio, destiné à précéder le chant du Miserere, reprend de manière théâtrale l’épisode des serpents de feu dans le désert, tiré du Livre des Nombres : attaqués par des serpents à la morsure mortelle après avoir méprisé la manne, les Hébreux se repentent de leur impiété et obtiennent de Dieu leur remède sous la forme d’un serpent de bronze qui préfigure la croix du Christ. Cette trame biblique donne lieu à une partition très théâtrale, bien que l’accompagnement orchestral se restreigne aux cordes et à la basse continue ; récitatifs et arias da capo parfois très développées se succèdent comme dans une cantate ou dans un opéra. Exécutée à l’origine par les jeunes musiciennes virtuoses de l’Ospedale degl’Incurabili, l’œuvre n’a été écrite que pour des voix de femmes, ce qui rend difficilement justifiable le choix du contre-ténor Robert Expert pour le rôle d’Eléazar, même si le chanteur sait se montrer très expressif dans son air, où il exprime le regret du peuple hébreux, ou dans le duo où il chante la guérison que Dieu a accordée à son peuple par le serpent de bronze. Valérie Gabail, dans les deux airs de l’Ange, s’affirme assez nettement comme le sommet de la distribution. Les Paladins, quant à eux, accompagnent avec élégance et clarté les grands airs à da capo, tandis que Jérôme Correas parvient à insuffler beaucoup de vie et de vigueur dramatique aux récitatifs. Il s’agit donc, malgré ses quelques défauts, d’un enregistrement très réussi et très satisfaisant, peut-être l’un de ceux qui permettent de découvrir la musique de Hasse dans les meilleures conditions.
I Pelligrini al Sepolcro di Nostro Signore, oratorio dresdois de 1742, enregistré par Gérard Lesne, me semble avoir bénéficié d’un traitement nettement moins favorable. L’orchestre, tout d’abord, est trop réduit (5 violons seulement, par exemple) pour restituer des effets prévus pour l’orchestre beaucoup plus fourni de la chapelle des princes de Saxe et donne parfois une impression de sécheresse ; et, si la basse Peter Harvey, dans le rôle du Guide narrant aux pèlerins le récit de la Passion du Christ, se montre excellent, Rachel Elliott est beaucoup moins convaincante ; on s’étonne de plus de la suppression de l’unique aria d’Albino et du da capo de la seconde aria d’Eugenio.
Il Cantico de Tre Fanciulli est une œuvre particulièrement intéressante. Composée en 1734 pour la cour de Dresde, elle a été profondément remaniée par Hasse lui-même quarante ans plus tard, lors de sa retraite vénitienne. Le récit de la condamnation au bûcher des trois jeunes gens par Nabuchodonor, tiré du livre de Daniel, donne lieu à une partition pleine de contrastes et de couleurs, notamment grâce à l’adaptation du cantique biblique qu’il comprend, louange de la Création qui permet à Hasse de composer une série d’airs magnifiques dont il a considérablement enrichi l’instrumentation dans les années 1770, en plus d’avoir presque entièrement réécrit le premier air et d’avoir ajouté au début de la seconde partie une introduction instrumentale, véritable mouvement de concerto où se distingue le hautbois soliste. Malheureusement, la version publiée par Bongiovanni, avec l’ensemble Musica Rara, dirigé par Arnold Bosmans, souffre d’une prise de son approximative, d’un orchestre d’instruments modernes un peu pesant et brouillon et de chanteurs qui peinent à correspondre aux exigences de la musique.
Sanctus Petrus et sancta Maria Magdalena, oratorio latin, a été composé à Venise pour les Incurabili, vraisemblablement en 1758, lui aussi pour introduire le chant du Miserere (sans doute la version en ré mineur). Il s’agit d’un oratorio de la Passion, où saint Pierre et sainte Marie Madeleine, après la mise au tombeau du Christ, se remémorent ses souffrances. L’œuvre, écrite pour cinq voix de femmes solistes et orchestre à cordes, est du plus haut intérêt et comprend, en plus des cinq airs et des récitatifs, une ouverture, un trio, un duo et plusieurs récitatifs accompagnés, qui tendent parfois à l’arioso (notamment dans le premier récitatif de saint Pierre et dans le récitatif qui suit le trio). On peut être surpris de l’emploi de deux contre-ténors dans la version enregistrée chez Oehms Classics par Michael Hofstetter à la tête de l’orchestre du festival du Ludwigsburg ; si Terry Wey, dans le rôle de saint Pierre, se montre satisfaisant, aussi bien dans son air très dramatique que dans le duo, la voix de Jacek Laszckowski ne convient manifestement pas au rôle de Joseph d’Arimatie, qui aurait beaucoup gagné à être occupé par une femme et non par un falsettiste. On peut regretter également que l’enregistrement, qui comprend aussi les chœurs du très beau Miserere en ré mineur, sans doute composé à la même occasion, ait coupé les da capo du duo comme de l’aria conclusive de Marie Madeleine. On peut noter la présence de Vivica Genaux, qui interprète le rôle de Salomé, même si la mezzo-soprano américaine ne se distingue pas particulièrement dans son air. L’interprétation du Miserere, quant à elle, est intéressante et très dramatique, même si l’on peut évidemment regretter que tous les versets solistes en aient été retranchés.
La Conversione di Sant’Agostino est un oratorio italien composé à Dresde en 1750, enregistré chez Capriccio par l’Académie de musique ancienne de Berlin. L’œuvre est constituée de deux parties, conclues chacune par un chœur ; l’orchestre comprend, en plus des cordes et de la basse continue, deux hautbois, deux flûtes, deux cors et deux bassons. Les récitatifs témoignent du souci du compositeur de suivre au plus près les tourments de l’âme des personnages et les airs se caractérisent par une remarquable variété, de la première aria très lyrique de sainte Monique à l’aria di tempesta de Navigio. L’orchestre parvient dans l’ensemble à restituer la richesse et les couleurs de la musique de Hasse (par exemple dans le chœur final de la première partie ou dans le second air d’Alipio, où les flûtes et les pizzicati évoquent les pleurs d’Augustin). Si les chanteurs semblent parfois légèrement en retrait (de nouveau, on peut douter de la pertinence de l’emploi de deux contre-ténors, dans des parties écrites cette fois pour des castrats), il s’agit d’un bel enregistrement que je ne peux que recommander.
Jean Lodez
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