vendredi 17 février 2012

Europe, qu’as-tu fait de la culture ?

Les Etats et l'Union européenne ont été en apparence très actifs face à la crise, coordonnant leurs politiques économiques et s'assurant que les divers gouvernements mènent une politique conforme aux « valeurs » de l'Union. On a pu le constater en Grèce et en Italie, où des gouvernements technocratiques et très pro-européens ont été installés indépendamment de tout vote populaire. De même, en Hongrie, le rappel à l’ordre du Parlement européen sur une nouvelle constitution pourtant proposée par un gouvernement assis sur une très forte légitimité populaire, témoigne bien que les « principes » de l’Union sont contraignants et que l’on ne s’en écarte pas sans dommages.
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Malgré ce volontarisme, l'Union européenne semble très faible face aux difficultés venues de la mondialisation. Certains principes de la construction européenne actuelle sont en réalité décalés par rapport au monde globalisé du XXIe siècle. Ainsi l'Europe, par sa propre faute, a perdu toute identité commerciale en abandonnant la préférence communautaire qui était à l'origine du traité de Rome. Elle est désormais la zone économique la plus ouverte au monde, rendant toute une partie de son économie très fragile (notamment des pans entiers de l'industrie, où le coût du travail est trop élevé pour que l'activité puisse perdurer). En ce domaine, tant qu'elle refusera de revenir sur ce qu'elle considère comme des principes intangibles, elle ne pourra que constater son impuissance, malgré tout le volontarisme politique mis en œuvre.
Les causes de ce phénomène sont à notre avis à aller chercher plus en profondeur, dans le domaine culturel. Le volontarisme y est constant, comme en témoignent les nombreuses politiques voulant favoriser la "rencontre entre les peuples", les subventions pour les échanges scolaires, les partenariats, etc. Pourtant, y a-t-il vraiment une culture européenne spécifique, dont chacun pourrait se sentir fier ? Lorsqu'elle parle de « valeurs », l'Union européenne n'est jamais très originale : elle cite le contenu de la déclaration universelle des droits de l'homme. Qui, par définition, est universelle, et n'entend pas s'appliquer à l'Union européenne seule. Elle n'est même pas seule à la promouvoir, puisque de nombreuses institutions internationales s'en chargent également. C’est que l’universalité désincarnée ne constitue pas une identité : pour ce faire, il faut ancrer des principes universels dans une culture particulière. Une civilisation est toujours incarnée.

La mondialisation, quant à elle, n’attend pas. Ses effets négatifs d’uniformisation et d’acculturation tirent parti de l’absence de réaction forte, de l’impuissance que laissent transparaître les Etats et l’Union. Ainsi, la circulation des idées, des images, des sons, des personnes, est loin de produire un enrichissement mutuel : les États-Unis produisent 6 % des films dans le monde mais disposent de 50 % du temps de projection mondiale, ainsi que de 69 % des marchés européens de télévision. Face à cette situation conduisant inexorablement à l’abandon de toute culture européenne, l’Union européenne a mis en place une politique résolument volontariste, qui ne fait que souligner son impuissance. Ainsi, le traité de Lisbonne interdit les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres, autrement dit les contingents douaniers. Toutefois, il introduit également « l'exception culturelle », autorisant les interdictions ou restrictions d'importations, d'exportations et de transit tendant à la « protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ». Puis, regrettant d'avoir été trop généreux, le même article précise : « Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. » Cette conception de la culture remonte aux origines de l’Union européenne : Robert Schuman écrivait : « Le droit de veto est incompatible avec une telle structure [communautaire] qui suppose le principe des décisions majoritaires... Tel est le sens de la supranationalité... » Mais il ajoutait que celle-ci « ne saurait... s'appliquer au domaine de la culture, respectueuse de toutes les particularités ». La culture n’est qu’une exception, et encore très encadrée. Il nous semble pourtant que, pour faire véritablement face à la mondialisation, pour sortir du volontariste et obtenir des résultats, elle devrait être la règle.

Le volontarisme comme métaphore de l’impuissance face à une situation que l’on ne veut pas modifier en profondeur atteint ici son paroxysme. Partis d'une situation de fait où la culture s'était comme dissociée de l'ensemble des activités humaines, les politiques étatistes au sein de l’Union européenne orientent désormais leur acharnement à réduire toujours plus les dimensions de ce qu'il est permis d'appeler culturel, à détruire l'enracinement de la culture dans les cœurs et dans les peuples, et à faire des débris issus de ce travail de dessouchage, de pilonnage et de concassage, des produits marchands susceptibles d'alimenter les profits des puissances financières de la planète.

« Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. »,  expliquait déjà le Petit Prince.

Face à cette situation, et pour que les politiques européennes retrouvent un sens et une efficacité, le remède ne viendra pas de subtilités juridiques supplémentaires. Il viendra, comme toujours, des profondeurs des peuples retrouvant la voie d’une civilisation prestigieuse, car incarnée.

Christian d'Aussois

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