Les Etats et l'Union
européenne ont été en apparence très actifs face à la crise, coordonnant leurs
politiques économiques et s'assurant que les divers gouvernements mènent une politique
conforme aux « valeurs » de l'Union. On a pu le constater en Grèce et
en Italie, où des gouvernements technocratiques et très pro-européens ont été
installés indépendamment de tout vote populaire. De même, en Hongrie, le rappel
à l’ordre du Parlement européen sur une nouvelle constitution pourtant proposée
par un gouvernement assis sur une très forte légitimité populaire, témoigne
bien que les « principes » de l’Union sont contraignants et que l’on
ne s’en écarte pas sans dommages.
Malgré ce volontarisme,
l'Union européenne semble très faible face aux difficultés venues de la
mondialisation. Certains principes de la construction européenne actuelle sont
en réalité décalés par rapport au monde globalisé du XXIe siècle. Ainsi
l'Europe, par sa propre faute, a perdu toute identité commerciale en
abandonnant la préférence communautaire qui était à l'origine du traité de
Rome. Elle est désormais la zone économique la plus ouverte au monde, rendant
toute une partie de son économie très fragile (notamment des pans entiers de
l'industrie, où le coût du travail est trop élevé pour que l'activité puisse
perdurer). En ce domaine, tant qu'elle refusera de revenir sur ce qu'elle
considère comme des principes intangibles, elle ne pourra que constater son
impuissance, malgré tout le volontarisme politique mis en œuvre.
Les causes de ce
phénomène sont à notre avis à aller chercher plus en profondeur, dans le
domaine culturel. Le volontarisme y est constant, comme en témoignent les
nombreuses politiques voulant favoriser la "rencontre entre les
peuples", les subventions pour les échanges scolaires, les partenariats,
etc. Pourtant, y a-t-il vraiment une culture européenne spécifique, dont chacun
pourrait se sentir fier ? Lorsqu'elle parle de « valeurs », l'Union
européenne n'est jamais très originale : elle cite le contenu de la déclaration
universelle des droits de l'homme. Qui, par définition, est universelle, et
n'entend pas s'appliquer à l'Union européenne seule. Elle n'est même pas seule
à la promouvoir, puisque de nombreuses institutions internationales s'en
chargent également. C’est que l’universalité désincarnée ne constitue pas une
identité : pour ce faire, il faut ancrer des principes universels dans une
culture particulière. Une civilisation est toujours incarnée.
La mondialisation,
quant à elle, n’attend pas. Ses effets négatifs d’uniformisation et
d’acculturation tirent parti de l’absence de réaction forte, de l’impuissance
que laissent transparaître les Etats et l’Union. Ainsi, la circulation des
idées, des images, des sons, des personnes, est loin de produire un
enrichissement mutuel : les États-Unis produisent 6 % des films dans le
monde mais disposent de 50 % du temps de projection mondiale, ainsi que de 69 %
des marchés européens de télévision. Face à cette situation conduisant
inexorablement à l’abandon de toute culture européenne, l’Union européenne a
mis en place une politique résolument volontariste, qui ne fait que souligner
son impuissance. Ainsi, le traité de Lisbonne interdit les restrictions
quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres,
autrement dit les contingents douaniers. Toutefois, il introduit également « l'exception
culturelle », autorisant les interdictions ou restrictions d'importations,
d'exportations et de transit tendant à la « protection des trésors
nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ».
Puis, regrettant d'avoir été trop généreux, le même article précise :
« Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un
moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce
entre les États membres. » Cette conception de la culture remonte aux
origines de l’Union européenne : Robert Schuman écrivait : « Le droit
de veto est incompatible avec une telle structure [communautaire] qui suppose
le principe des décisions majoritaires... Tel est le sens de la
supranationalité... » Mais il ajoutait que celle-ci « ne saurait...
s'appliquer au domaine de la culture, respectueuse de toutes les
particularités ». La culture n’est qu’une exception, et encore très
encadrée. Il nous semble pourtant que, pour faire véritablement face à la
mondialisation, pour sortir du volontariste et obtenir des résultats, elle
devrait être la règle.
Le volontarisme comme
métaphore de l’impuissance face à une situation que l’on ne veut pas modifier
en profondeur atteint ici son paroxysme. Partis d'une situation de fait où la
culture s'était comme dissociée de l'ensemble des activités humaines, les
politiques étatistes au sein de l’Union européenne orientent désormais leur
acharnement à réduire toujours plus les dimensions de ce qu'il est permis
d'appeler culturel, à détruire l'enracinement de la culture dans les cœurs et
dans les peuples, et à faire des débris issus de ce travail de dessouchage, de
pilonnage et de concassage, des produits marchands susceptibles d'alimenter les
profits des puissances financières de la planète.
« Les
hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes
faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis,
les hommes n'ont plus d'amis. »,
expliquait déjà le Petit Prince.
Face
à cette situation, et pour que les politiques européennes retrouvent un sens et
une efficacité, le remède ne viendra pas de subtilités juridiques
supplémentaires. Il viendra, comme toujours, des profondeurs des peuples
retrouvant la voie d’une civilisation prestigieuse, car incarnée.
Christian d'Aussois
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