mardi 8 novembre 2011

Bref retour sur l'affaire Castellucci

Note : Cet article a déjà été publié, dans une version très légèrement différente, sur le blogue Benoît et moi (http://benoit-et-moi.fr/2011-III/).

La protestation menée depuis quelques jours par des catholiques contre la pièce donnée à Paris au Théâtre de la Ville par Roméo Castellucci, Sur le concept du visage du Fils de Dieu, a fait ces derniers temps grand bruit. Les faits seraient assez bien connus s’ils n’avaient fait l’objet de récits pour le moins partiaux qu’en ont livré la grande presse et les principaux médias. De jeunes catholiques, à l’appel de l’institut Civitas, ont manifesté chaque soir, priant et chantant devant le théâtre pendant les représentations de cet étrange spectacle. Quelques-uns d’entre eux ayant, au cours des premières manifestations, jeté quelques œufs ou perturbé le déroulement de la pièce, on a vu les journalistes dénoncer aussitôt les abominables violences commises par les « fondamentalistes chrétiens » – il n’est pas anodin que cette même expression ait servi à désigner le tueur norvégien – certains allant jusqu’à parler de « prises d’otage » ou d’ « attaques terroristes ». Très curieusement, on n’avait guère vu les mêmes journalistes dénoncer de même les jets d’œufs autrement plus fournis et les attaques autrement plus graves auxquels se sont livrés les anarchistes de la CNT et les trotskystes du NPA contre les catholiques venus prier le rosaire devant l’hôpital Tenon en septembre dernier à l’appel de l’association SOS-Tout-petits.
On pourrait noter de même que la plupart des journalistes ne se sont pas plus empressés de rappeler qu’un jeune militant d’Action française a eu le pied écrasé par un véhicule de police alors même qu’il était maintenu à terre par les policiers. On imagine pourtant les réactions d’indignation qu’aurait suscité le même accident, assurément involontaire, s’il avait concerné non un ignoble maurrassien, mais un  malheureux sans-papier ou un étudiant en grève.
Cependant, la partialité de la grande presse vis-à-vis de tout ce qui, de près ou de loin, a trait à la religion catholique, n’étant pas nouvelle, il n’y a certainement pas lieu de s’étonner de ce traitement réservé aux affreux « fondamentalistes ». L’aspect le plus intéressant et à vrai dire le plus triste de cette lamentable affaire tient sans doute au traitement réservé auxdits « fondamentalistes » non par la presse laïque, mais par divers journaux ou penseurs catholiques.
La Croix n’avait pas manqué d’ouvrir le feu la première :
L’Église de France a pris ses distances avec les débordements orchestrés autour de la pièce « Sur le concept du visage du Fils de Dieu » donnée à Paris[1].
Les faits, par la voix notamment de Mgr Centène, évêque de Vannes, n’ayant pas tardé à démentir l’article de La Croix, le cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, jugea bon d’intervenir pour mettre bon ordre à cette agitation. Il condamna donc, sur les ondes de Radio Notre-Dame, un « groupuscule qui se réclame de l’Eglise sans aucun mandat » lié au mouvement « lefebvriste » faisant de la foi un « motif de violence[2] ». En fait de violence, il n’y eut, lors de la manifestation du samedi que des chants, des prières et quelques slogans que l’on pouvait certes trouver appropriés ou non, mais qui n’étaient probablement guère plus violents que ceux qu’on peut entendre dans n’importe quelle manifestation.
Ce fut cependant au soir même de la grande manifestation organisée par Civitas que les événements parurent se précipiter. Myriam Picard, qui se définit étrangement comme catholique traditionaliste tout en étant journaliste à Riposte laïque, estima utile de publier sur Nouvelles de France un article où elle prenait la défense de la pièce de Castellucci, lui attribuant une signification profondément chrétienne. L’abbé Grosjean, prêtre du diocèse de Versailles, ne tarda pas à lui emboîter le pas dans un texte publié sur le Forum Catholique, où, dépassant Mme Picard, qui ne parlait que de « malentendu », il ne se contentait pas de juger le spectacle très chrétien, mais accusait quelques ecclésiastiques et les organisateurs de la protestation d’avoir manipulé les jeunes et de les avoir envoyé « au casse-pipe ». On peut l’imaginer, ce texte déclencha des réactions immédiates et parfois très excessives, mais suscita également de la part des adversaires de la pièce des réflexions qu’il n’est pas facile d’écarter.
La plus profonde est certainement celle de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur, sur son Métablog, qui démontre que la pièce est non pas blasphématoire, mais sacrilège :
Castellucci n'est pas seulement l'homme d'une négation : cela ne serait pas grave. Dieu sait si les négations ou les dénégations ne nous font pas peur à nous chrétiens, elles sont toujours des formes de déni, nous le savons. Ici, il y a bien plus : la juxtaposition et l'équivalence établie entre la merde et la beauté. Une sorte de barbarie apprivoisée que l'on devrait considérer comme fatale, et qui, bientôt peut-être, pourra devenir obligatoire au nom de la correctness[3].
L’abbé de Tanoüarn s’employait ainsi à discerner la véritable portée de l’ « œuvre » de Roméo Castellucci :
Je crois que l'on touche avec Castellucci à la vérité profonde de la célèbre formule de Hermann Hesse : "La culture sans le culte est un déchet". Si la culture n'est pas animée par un véritable culte de ce qui est sacré (indépendamment d'ailleurs de toute foi explicite), elle se détruit elle-même et devient un déchet. Elle est la grande machine à tout égaliser et à tout confondre, elle est la première pourvoyeuse de bouillie mentale à l'usage des pervers et apprentis pervers.
Cette forte analyse, qu’il convient de lire en entier tant elle est fine et pertinente, n’a, me semble-t-il, reçu aucune réponse.
Côme Prévigny, agrégé de l’Université et membre de l’Institut Civitas, publiait quant à lui dans Nouvelles de France une tribune libre en « réponse aux abbés Grosjean et Cariot, aux dames Boutin et Picard[4] » et mettait en évidence le « gros problème » de l’interprétation faite par l’abbé Grosjean ou par Myriam Picard de la pièce de Castellucci :
La clef d’interprétation ne va pas de soi. […] Les interrogations demeurent. Serrano plonge la croix dans son urine et laisse scandaleusement planer le doute. Castellucci fait dégouliner la sécrétion fécale de son acteur sur le visage de Jésus Christ et il confond indignement le spectateur dans ses divagations. Ces productions sont peut-être pires que des pièces qui afficheraient clairement leur antichristianisme dans la mesure où elles entretiennent le doute et qu’elles endorment lentement les consciences qui se rassurent par une interprétation minimaliste.
Côme Prévigny concluait ainsi :
Aujourd’hui, en France, on détruit l’image de Dieu. Elle était vénérée et honorée aux croisées de nos routes, au cœur de nos villages. Elle est désormais moquée et désacralisée sur les affiches des rues et dans les temples de la « culture » contemporaine.
Cet article, tout en s’attachant à mettre en évidence le caractère intrinsèquement pervers de l’œuvre, montrait donc à quel point elle contribuait à entretenir un climat de haine à l’encontre du sacré chrétien, aujourd’hui souvent profané dans l’indifférence générale. Cependant, malgré le soin mis par l’auteur à conserver un ton toujours posé et courtois, le texte s’attira les foudres du journaliste et littérateur Jacques de Guillebon, qui crut utile de publier à son tour sur Nouvelles de France une tribune libre dont la lecture laisse pantois, sous le titre éloquent « L’honneur des imbéciles[5] ». Après avoir exprimé son exaspération face aux « défenseurs autoproclamés de l’honneur du Christ » qui prennent en « otage » sa foi et sa confession et offrent un « spectacle lamentable » tant ils sont « dépourvus de libre-arbitre » et « incapables de la moindre réflexion esthétique », ridiculisant « l’intelligence catholique » construite par vingt-siècles – rien que cela – M. de Guillebon s’en prend directement à Côme Prévigny, « admirable imbécile » et « histrion », avant de développer de curieuses théories d’histoire religieuse :
Une fois encore, je conseille à ce porte-parole de la pensée catholique conservatrice de reconsulter ses notes sur l’histoire des hérésies. Il saura alors que la querelle des images est née justement de cathares de son acabit que leur contact trop prolongé avec l’islam avait convaincus du risque de profanation de la divinité par la représentation.
M. de Guillebon pourrait lui aussi reconsulter ses notes sur l’histoire des hérésies, car la querelle des images est née dans l’empire byzantin à une époque où les cathares n’existaient même pas. Si les contacts avec l’islam peuvent y avoir joué un certain rôle, il faudrait surtout mentionner tout d’abord l’inflation extraordinaire en Orient du culte des images, inconnue en Occident, puis le retour de l’Eglise byzantine à certains interdits vétérotestamentaires et les réflexions platonisantes de théologiens grecs sur l’insuffisance des représentations. Mais enfin, peut-être le catharisme de l’artiste qu’est M. de Guillebon n’est-il qu’une figure de style. Il n’en est pas moins curieux qu’il lui serve à reprocher à Côme Prévigny de manquer de rigueur historique.
De fait, l’article ne consiste qu’en une longue suite d’insultes. On ne trouve guère d’arguments, ou du moins fort peu. Les catholiques qui s’opposent à la pièce de Castellucci sont des « moutons déguisés en loup », ils n’ont rien compris au « génie du christianisme », ils sont les complices d’odieux régimes nationaux-catholiques aux « fruits douteux ». Il n’y manque pas même la mention de Maurras. Le sommet du ridicule est bientôt atteint et même dépassé[6] :
Quand le vrai matin rouge sang de la persécution aura levé, je ne les verrai pas du côté du peuple, de ceux qui souffrent vraiment, des pauvres, ni des barbares : je les verrai comme d’habitude dans le Parti de l’Ordre, celui qui bannit et anathématise, pour garder la race pure. Je les verrai défendre leurs biens comme ils défendent déjà aujourd’hui une image du Christ comme leur propriété.
Et l’on verra, bien sûr, Jacques de Guillebon couronné « comme d’habitude » de la palme du martyre, au côté du « peuple » et de « ceux qui souffrent vraiment ». Personne n’en doute. M. de Guillebon, qui quant à lui ne doute de rien, sait pour sa part que ses détracteurs ont dans les salons de leurs demeures bourgeoises des tableaux italiens du XVe siècle,  qu’ils sont des nantis et des pharisiens. Le tout est couronné de l’indispensable référence à Bernanos.
Avec Jacques de Guillebon, on franchissait donc une étape supplémentaire. Le cardinal Vingt-Trois condamnait la protestation publique contre la « création » de Castellucci. Myriam Picard faisait de la pièce une lecture chrétienne. L’abbé Grosjean l’imitait en accusant de plus les organisateurs, tout en reconnaissant la bonne foi des manifestants.
Jacques de Guillebon, qui s’imagine certainement être le Léon Bloy de notre siècle, canonise quant à lui tout uniment la pièce comme expression du seul art authentiquement chrétien et anathématise sans plus s’interroger les manifestants dans leur ensemble.
Le ridicule de son intervention n’échappa à personne. D’une part, la « prise en otage » du catholicisme par les manifestants, alors que les médias répétaient sans se lasser qu’ils représentaient une « frange ultraminoritaire » condamnée de surcroît par l’archevêque de Paris, n’apparaissait nullement comme évidente. D’autre part, le ton d’imprécateur anticonformiste adopté par M. de Guillebon, qui ne faisait que se rallier à la position du noyau dirigeant de la conférence épiscopale française et à celle de la plupart des journaux aussi bien chrétiens que laïcs, donnait en fait une furieuse impression de « course à la respectabilité », selon les mots de Xavier Arnaud, webmestre du Forum Catholique[7]. Côme Prévigny ne s’y trompa pas et répondit presque aussitôt :
Je me félicite bien de voir que vous êtes dans l’incapacité la plus totale d’exprimer une pensée posée et mesurée. Vous ne répondez en rien aux arguments. Ce n’est qu’un amas d’insultes qui démontre la grande faiblesse de votre argumentation : « L’honneur des imbéciles » ; « admirable imbécile » ; « histrion » ; « moutons déguisés en loups » ; « solennel imbécile ». Ce sont aussi des clichés qui rappellent les petites étiquettes du Père de La Morandais. Je vous remercie d’une telle réplique qui me fait gagner un temps certain.
Pendant ce temps, la presse catholique officielle mobilisait ses forces. Ainsi Jean-Claude Guillebaud, dans La Vie, n’oublia-t-il pas de se réclamer à son tour de l’indispensable Bernanos (auquel il est particulièrement commode de faire dire ce que l’on veut, semble-t-il) dans un formidable article intitulé « Une violence peu chrétienne[8] » :
Mais cette haine ! Ces injures ! Ce ton ! J’ai aussitôt pensé à Georges Bernanos. Comme on le sait, il n’était pas le dernier à ironiser sur les "chrétiens de gauche", dont les proches d’Emmanuel Mounier. Or, après la publication – contre son camp – des Grands Cimetières sous la lune, Bernanos eut à subir la même haine "traditionaliste", pour avoir dénoncé les crimes franquistes, couverts par l’épiscopat espagnol.
Aujourd’hui, il serait atterré par cette défense agressive de la "chrétienté". Ce brouhaha fournit en vérité des arguments providentiels à tous les maniaques de l’antichristianisme, pressés de fustiger dans les médias "l’intolérance catholique". M’est revenue la belle formule de Soren Kierkegaard : "Il serait temps de remettre un peu de christianisme dans la chrétienté."
« Cette haine » (évidemment traditionaliste), « ces injures », « ce ton » : M. Guillebaud ne parle pas de l’article de M. de Guillebon, mais des ignobles intégristes rendu tout bonnement et sans autre forme de procès complices des crimes franquistes. Quelle mesure, de nouveau ! L’analogie, du reste, ne tient guère, puisqu’on ne peut pas dire que les exactions supposées de Civitas soient couvertes par l’épiscopat français.
Le plus frappant, dans l’argumentation de M. Guillebaud, c’est le flou – artistique ? – qu’elle conserve.
Soyons clairs : le ton de certains argumentaires et les formules employées font froid dans le dos. Les chrétiens circonspects sont qualifiés de "francs-maçons", "laquais", voire "vermine". On les traite de "faux catholiques complices des blasphémateurs". Quant aux allusions antisémites, elles sont transparentes.
Le problème est que dans les invectives citées, aucune ne constitue une allusion antisémite transparente. On en trouvera certes ailleurs, chez certains commentateurs, notamment sur Gloria TV, mais aucune sur les principaux forums traditionalistes, c’est-à-dire le Forum Catholique et Fecit. Ce qui n’a du reste aucune importance : sur les traditionalistes, on peut tout dire ou presque, le ton ne souffre jamais de réplique.
Patrice de Plunkett, quant à lui, exhibait un entretien du Monde avec Roméo Castellucci pour montrer à quel point les manifestants étaient « hors sujet ». Ils n’ont évidemment rien compris, n’ont « rien à voir avec l’Evangile » et constituent uniquement des « groupes politisés » :
Dans la capitale, la visibilité catholique est squattée par les récents exclus du FN, désormais à la recherche de choses à faire. Puis-je me permettre de demander aux Bernardins et à l'archidiocèse ce qu'on attend pour rétablir la situation ?
Il est donc inutile de discuter : Civitas, ce sont les « exclus du FN » qui veulent leur revanche, et rien d’autre. D’ailleurs, Le Monde le dit. Qu’un déçu du FN comme Yves Daoudal ait pris position en faveur de la pièce ou qu’il existe d’autres entretiens avec Castellucci dans lesquels celui-ci affichait des intentions fort différentes, ce sont sans doute des faits qu’il ne convient pas de prendre en compte.

Que penser de cette triste affaire, dont je n’ai retenu ici que quelques réactions caractéristiques, bien loin d’être exhaustives (je songe particulièrement au travail remarquable de Jeanne Smits[9] tout au long de ces deux semaines ou à la dernière intervention de Jean Madiran sur La Croix) ?
Il me semble que, en ce qui concerne la pièce elle-même, l’abbé de Tanoüarn, Jeanne Smits et Côme Prévigny ont pratiquement tout dit. Il faut néanmoins relever ce simple point : dès lors qu’il est question de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il est possible de faire dire à une œuvre tout et n’importe quoi en prétextant l’épître aux Philippiens (II, 6-8) : « Bien qu’il fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. » Je crois qu’il existe, y compris dans certains milieux conservateurs et même traditionnels, une certaine complaisance dans le misérabilisme, alors même que saint Paul poursuit : « Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ».
L’abbé Amaury Cariot, autre défenseur de Castellucci, en a donné un curieux exemple dans le texte suivant :
Une formation des jeunes catholiques semble urgente : on n’humilie pas le Christ, même en blasphémant. « Humilié il n’ouvrait pas la bouche » (Isaïe). C’est le péché de l’humanité qui humilie le Christ, le mien, le votre, passé, présent et à venir.
D’où il suit, puisqu’on n’humilie pas le Christ en blasphémant, mais qu’on l’humilie en péchant, que le blasphème n’est pas un péché. Triste théologie de quelqu’un qui prétend former les jeunes catholiques. Il me semble qu’on ne peut aller plus loin dans le misérabilisme.
Umberto Eco, qui n’a rien d’un « fondamentaliste » ou d’un « intégriste » chrétien, distinguait, dans l’un des passages les moins jargonnants de son Lector in fabula, l’interprétation d’un texte et son utilisation. Je crois que, dans le cas de Myriam Picard comme de l’abbé Grosjean, nous avons affaire non pas à une interprétation possible, mais à une « utilisation » de la pièce de Castellucci, une utilisation qui est peut-être de bonne foi, et d’autant plus aisée qu’il est question du Crucifié « fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu » (II Cor V, 21)[10] mais qui fait l’impasse sur des faits objectifs et irréductiblement antichrétiens. C’est ce qu’a noté l’abbé de Tanoüarn :
L’ambiguïté entre "Tu es mon Pasteur" et "Tu n'es pas mon Pasteur" est significative : de toutes façons, nous dit l'auteur, les deux expressions se valent, car ce Pasteur, c'est... de la merde... Je vous l'ai fait voir en direct. Il ne s'agit pas seulement d'un jugement de valeur ou d'un simple blasphème. Pour Castellucci, c'est un jugement de fait.
Il disait encore :
Je conçois que ce confusionnisme puisse par réaction rappeler même aux plus matérialistes que le matérialisme est absurde et qu'à un moment ou à un autre, il se niera lui-même. Preuve qu'il ne faut pas désespérer de l'homme ! Il y a toujours un travail du négatif, comme dirait Hegel. Mais il est clair que ce dont souffre toute une génération de jeunes déculturés, ce n'est pas de telle ou telle négation, c'est de cette absence de limites dans l'universelle indifférenciation.
« Il y a toujours un travail du négatif » : c’est en vertu de ce « travail du négatif » que des philosophes catholiques verront dans le Piss Christ de Serrano une œuvre sur la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est en vertu d’une « utilisation » comparable du spectacle excrémentiel de Castellucci qu’on y verra un hommage paradoxal à la foi catholique. Mais cet hommage involontaire tient uniquement à la contradiction interne du message matérialiste, que les chrétiens seront les plus prompts à saisir – d’où, peut-être, la fascination de Myriam Picard et de l’abbé Grosjean pour cette pièce.

C’est peu dire que les diverses interventions en faveur de la pièce ou contre les manifestants ont semé le trouble, la colère et la division dans les rangs des catholiques. C’est dans ce contexte de discorde, hélas, que ces interventions prennent tout leur sens, qui n’a peut-être pas été voulu par leurs auteurs. J’ai été frappé notamment par les propos de l’abbé Grosjean sur Radio Notre-Dame[11]. On a en effet pu l’entendre en appeler à un « échange entre le monde de la foi et le monde de la culture ». « La vraie question, c'est comment nous allons exprimer ce que nous pensons », la « façon chrétienne de s'indigner ». Ce qui est aussi bien dire que prier le chapelet devant le théâtre n’est pas une « façon chrétienne de s’indigner ». « Sortir par le haut de ce débat, c'est le service que nos évêques peuvent nous rendre. » La « sortie par le haut » consistera donc de nouveau à rechercher le « dialogue » en vue d’un invraisemblable consensus.
« C’est le service que nos évêques peuvent nous rendre. » Mgr Centène, évêque de Vannes, avait pourtant soutenu dans les termes les plus clairs la manifestation de Civitas. Les évêques de l’abbé Grosjean, ce sont, qu’il en soit conscient ou non, le cardinal Vingt-Trois et ses partisans au sein de la CEF – d’autant plus que le prêtre s’exprimait sur Radio Notre-Dame, qui avait largement relayé la condamnation des manifestants par l’archevêque de Paris. C’est à peine si l’on entendra l’abbé Grosjean rappeler que les militants de Civitas n’ont posé aucune bombe.
S’il est difficile de dire ce qu’il restera de cette bien triste affaire, on peut dire, me semble-t-il, ce qu’elle a révélé : la guerre implacable que livre un certain parti de l’Eglise de France, appuyé par la quasi-totalité de la presse catholique officielle, à tout ce qui, de près ou de loin, pourrait ressembler à du traditionalisme, et peut-être finalement et plus largement au plus simple bon sens[12].


François H.


[1] http://www.riposte-catholique.fr/perepiscopus/la-croix-ment-sur-la-position-des-eveques-quant-aux-spectacles-blasphematoires
[3]  http://ab2t.blogspot.com/2011/10/quelques-elements-de-reponse-pour-labbe.html
[4] http://www.ndf.fr/poing-de-vue/01-11-2011/l%E2%80%99iconoclasme-contemporain-reponse-aux-abbes-grosjean-et-carriot-aux-dames-boutin-et-picard
[5] http://www.ndf.fr/en-avant/01-11-2011/l’honneur-des-imbeciles
[6] Que l’on me pardonne d’être si dur. Mais au vu du texte injurieux de Jacques de Guillebon, je me demande s’il est possible de réagir autrement que par le rire ou la colère.
[7] http://www.leforumcatholique.org/message.php?num=613691
On notera que ledit article appartient à la rubrique « intégrisme ». M. Guillebaud et La Vie ont donc le mérite d’annoncer la couleur…
[9] On peut lire notamment les articles suivants :
http://tradinews.blogspot.com/2011/10/jeanne-smits-present-sur-le-concept-du.html
http://www.riposte-catholique.fr/jeanne-smits/pour-defendre-lhonneur-du-christ-un-catholique-temoigne
http://www.riposte-catholique.fr/jeanne-smits/lhonneur-du-christ-et-le-vrai-castellucci
[10] Il faudrait écrire à ce sujet un article entier. Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est au cœur de notre foi, a librement consenti à tous les abaissements de sa Passion pour accomplir la volonté du Père et opérer notre salut. Certains sont dès lors très prompts à voir dans chaque outrage au Christ une exaltation de son saint sacrifice, comme s’il n’y avait aucune différence entre représenter les abaissements qu’il a soufferts par amour pour nous, et l’offenser de nouveau.
[11] L’émission est disponible sur le blogue de Civitas :
http://francejeunessecivitas.hautetfort.com/archive/2011/11/04/la-voix-est-libre-sur-radio-notre-dalme-le-pere-grosjean-fx.html
[12] C’est l’interprétation que Jean Madiran fait des événements, dans un article remarquable qui décortique la rhétorique du quotidien La Croix : http://tradinews.blogspot.com/2011/11/jean-madiran-present-la-croix-est-en.html


1 commentaire:

  1. Il est triste de constater que l'Eglise ne sait même pas s'unir lorsque ce qu'elle a de plus cher est profané. Il faudra tirer les conséquences de cette terrible affaire après que "Golgotha Picnic", pièce encore plus blasphématoire que celle de Castellucci, aura été jouée - et, je l'espère, contestée.

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