mardi 15 novembre 2011

Compte rendu de la conférence de Godeleine Lafargue, « Le « gender », une idéologie de mort »


« Seul le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. » Cette phrase, issue des nouveaux manuels scolaires destinés aux lycéens français, était l’un des exemples par lesquels Godeleine Lafargue ouvrait sa conférence, avant de retracer brièvement l’histoire de la théorie du genre. Ne désignant initialement qu’une catégorie grammaticale, le genre a pris une connotation précise nouvelle en 1968 sous la plume de Robert Stoller dans Sex and gender, qui dissociait déjà le sexe, lié aux organes, de l’identité sexuelle, liée à la liberté. Cette distinction était reprise en 1972 par la féministe américaine Ann Oakley dans Sex gender and society, mais ce n’est qu’en 1990 que le genre fait l’objet d’une véritable théorisation par Judith Butler, dans un ouvrage intitulé Gender trouble (publié en France en 2005). Il s’agit d’éviter la confusion entre sexe physiologique et identité sexuelle : l’identité sexuelle aurait été imposée par la société patriarcale imprégnée de christianisme. Le genre devient dès lors un rôle social imposé par notre culture, une construction sociale liée à des stéréotypes de notre culture judéo-chrétienne, que la nouvelle théorie se propose précisément de déconstruire.
A partir des années 1970 apparaît ainsi une nouvelle génération de féministes, les féministes du genre, qui se donnent pour but l’élimination pure et simple des classes sexuelles. Il s’agit cette fois non seulement d’en finir avec les privilèges masculins, mais d’en finir également avec la distinction sexuelle elle-même. Ce nouveau féminisme s’impose dès 1995 au sommet des Nations Unies à Pékin, à l’issue d’une active campagne de persuasion. Le genre devient ainsi « la réalité selon laquelle la situation et le rôle de l’homme et de la femme sont des constructions sociales sujettes au changement ». Après 1995, la théorie du genre connaît ainsi une large diffusion, illustrée jusque dans les journaux distribués gratuitement et se traduit par des applications concrètes, rendues manifestes en France par la fin de la définition de la transsexualité comme maladie mentale en février 2010 ou la création d’une chaire consacrée à l’enseignement de la théorie du genre à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Dès 1995, les partisans du genre accordent à l’éducation un rôle décisif, comme l’illustre la volonté de séparer la mise au monde des enfants de leur éducation. Il s’agit d’abandonner jusqu’aux catégories d’homosexualité et d’hétérosexualité pour revenir, selon les propres mots de certains théoriciens du genre, à la sexualité naturelle perverse et polymorphe de l’homme. Une nouvelle étape est donc franchie dans la revendication féministe, qui va jusqu’à revêtir des aspects totalitaires, certains n’hésitant pas à vouloir interdire aux femmes de demeurer chez elles pour s’occuper de leurs enfants, tandis qu’enfle une littérature hostile à la maternité, illustrée récemment par No kid. Cent raisons de ne pas avoir d’enfants de Corinne Maier. Le genre apparaît donc bien comme une « idéologie de mort » en tant qu’il aboutit à une société dénaturée et suicidaire.
Pour permettre une réponse à cette théorie, Godeleine Lafargue s’est attachée à mettre en évidence les trois présupposés philosophiques de l’idéologie du genre. Celle-ci présuppose tout d’abord le structuralisme, comme le montre dès 1995 le lexique employé lors du sommet de Pékin : il s’agit de « dénoncer le langage hégémonique » pour montrer que les perceptions de la réalité sont des constructions sociales, détruire la métaphysique traditionnelle et obtenir une société qui ne serait plus tributaire du langage.
Le deuxième présupposé est une lecture néomarxiste de l’histoire : de la lutte entre oppresseur et opprimé doit sortir une société sans classe. Les théoriciens du genre reprochent cependant aux marxistes d’en être resté à l’économie : il faut s’attaquer plus directement à la famille, aux causes culturelles de l’oppression.
C’est cependant l’existentialisme qui constitue le principal pilier de la théorie du genre, qui apparaît selon Godeleine Lafargue comme une « éducation existentialiste appliquée à la sexualité ». Il est nécessaire que ce soit l’acte libre qui crée la nature humaine, que l’homme se définisse par ses propres actions : l’homme est ce qu’il devient, il faut donc favoriser la liberté pour permettre son épanouissement.

La deuxième partie de la conférence s’employait à montrer le caractère profondément idéologique et l’absence de tout fondement scientifique et philosophique de la théorie du genre. Ce n’est en effet pas en vain que les biologistes parlent de « déterminisme chromosomique » à propos du sexe physiologique : il est génétiquement impossible de transformer un homme en femme, toute tentative de modification des chromosomes sexuels entraîne la mort de la cellule, les transsexuels demeurent fonctionnellement de leur sexe d’origine. La différence entre hommes et femmes apparaît donc comme une réalité dont le caractère indéniable semble rendu manifeste par les statistiques américaines, qui tendent à montrer qu’aux Etats-Unis, le suicide toucherait près d’un transsexuel sur deux.
C’est cependant par la défense de la nature humaine, faite de l’union de l’âme et du corps, que la théorie du genre peut être véritablement contrée : en effet, cette union de l’âme et du corps, c’est-à-dire à la fois l’unité et le caractère composé de la nature humaine, doit faire apparaître l’absurdité de la distinction faite entre sexe physiologique et identité sexuelle. Face à une théorie qui entend renverser l’ordre du Créateur, Godeleine Lafargue terminait donc sa conférence en appelant les philosophes à renouer avec l’hylémorphisme aristotélicien et les développements que lui a donnés saint Thomas d’Aquin : c’est par la démonstration de l’union de l’âme et du corps, par la reconnaissance de l’existence d’une nature, que peuvent être montrés l’inanité et le caractère antiphilosophique de la théorie du genre.

La conférence valait notamment par son exposé aussi synthétique que précis des origines historiques du genre et de ses développements jusqu’à aujourd’hui, ainsi que par le nombre et la pertinence des exemples illustrant aussi bien la diffusion croissante de l’idéologie du genre que ses conséquences directes sur la vie des individus et de la société. On peut regretter cependant que la seconde partie de la conférence, malgré la force des arguments tirés des données scientifiques comme de la philosophie réaliste d’Aristote et de saint Thomas, n’ait pas engagé une critique des textes eux-mêmes des théoriciens du genre, très peu cités après la première partie, ce qui aurait permis de faire apparaître plus nettement leurs erreurs. Ces défauts, peut-être liés aux contraintes matérielles d’une conférence d’une heure et demie, qui ne permet pas d’examiner ligne à ligne une littérature devenue abondante, n’enlèvent rien cependant à la justesse des constats comme des orientations données par Godeleine Lafargue à l’opposition philosophique à l’idéologie du genre.

Note : Cet article a été rédigé à partir de notes prises durant la conférence donnée par Godeleine Lafargue-Dickès à l’Institut Universitaire St-Pie X le 14 novembre 2011.

Louis-Marie Lamotte

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