La campagne commence à peine. François Hollande s’accorde quelques jours de vacances. Le temps pour nous de prendre un peu de recul, dans ce premier billet d’une longue série qui permettra, nous l’espérons, d’éclairer modestement les enjeux politiques actuels. Imitons donc le candidat socialiste, qui, pour mieux affronter dans quelques semaines les sables mouvants de la politique politicienne à la française, se concentre pour le moment – imaginons-le – sur ce qui est stable, rassurant : nos paysages, nos campagnes, nos monuments, c’est-à-dire, osons le mot, nos racines, corréziennes ou non. Mais il nous faut faire de la politique : impossible d’évoquer ici la beauté de la nature en cette période de la Toussaint, qui se pare d’orange, de jaune, de rouge, tout en demeurant froide et silencieuse. Oublions un instant cette douce expérience, qui, si elle était véritablement comprise, nous replongerait dans l’essentiel et rendrait inutile tout ce qui va suivre. Portons notre regard sur ce qui, en politique, semble l’élément le plus stable : les institutions. Certes, la France en a connu de multiples. Mais, vous en conviendrez, il y aura toujours moins de régimes que d’idées, d’hommes et d’affrontements politiques dans l’histoire d’un pays.
Que nous dit donc notre vacancier, également favori de l’élection à venir ? Lisons un extrait de son programme, glané au détour d’une recherche sur la toile :
« Pour approfondir la démocratie, nous renforcerons le rôle du Parlement, nous introduirons une dose de proportionnelle aux élections législatives, nous accorderons le droit de vote aux étrangers aux élections locales, nous transformerons le Conseil Constitutionnel en une véritable Cour Constitutionnelle indépendante, nous supprimerons leur dotation publique aux partis qui ne respecteront pas l'objectif de la parité, nous lutterons contre les conflits d’intérêt et nous imposerons une limitation du cumul des mandats. »
Joyeux fatras, certes. Restons indulgents : il reste encore quelques mois, et ce programme a tout le temps d’être précisé. Néanmoins, il n’interdit pas quelques remarques.
L’idée qu’il conviendrait d’approfondir la démocratie, dans notre démocratie pourtant si mûre, d’après l’avis même de ceux qui veulent la renforcer, est concomitante de l’abandon définitif de toute forme de conception gaullienne de nos institutions. Il est vrai : de Gaulle n’était pas un grand démocrate. « Quand je tire les conclusions d’une délibération, c’est le Gouvernement qui s’exprime par ma bouche. Le Gouvernement n’a pas de substance en dehors de moi. Il n’existe que par mon fait », se plut-il à rappeler un jour au nouveau porte-parole de l’Elysée, Alain Peyrefitte. Depuis 1958, l’eau à cependant coulé sous les ponts, et les réformes constitutionnelles se succèdent désormais à un rythme infernal : dix-neuf lois constitutionnelles ont été promulguées en dix-neuf ans, depuis 1992, contre cinq auparavant, en trente-quatre ans. Bien souvent pour approfondir la démocratie. Ou bien, par une locution synonyme, pour moderniser les institutions. Résultat : le Parlement se réunit aujourd’hui au moins dix mois par ans contre six en 1958, il a un pouvoir important en matière de loi de finances, grâce à la loi organique portant lois de finances de 2001 (LOLF), contre quasiment aucun auparavant, la séance plénière examine le texte amendé par la Commission, non plus le projet initial du Gouvernement, l’article 49-3 a été considérablement atténué, et l’on pourrait citer bien d’autres exemples. Etonnamment, les règles qui président à la composition du Parlement n’ont, quant à elles, jamais changé, ou presque – seraient-elles déjà parfaitement démocratiques, et n’auraient-elles aucun besoin d’être approfondies ? Notre candidat ou tout du moins ses conseillers, qui doivent sentir qu’en matière de renforcement du rôle du Parlement, on ne peut guère aller plus loin sans changer véritablement de régime, précisent qu’une réforme pourrait précisément porter sur l’introduction d’ « une dose de proportionnelle ». Un seul homme s’y était risqué sous la Ve, et pas des moindres : François Mitterrand, pour les élections de 1986, avait institué la proportionnelle départementale. Trente-cinq députés du Front national purent siéger à l’Assemblée, et créer un groupe – autant que le PCF. La réforme était destinée à diviser la droite pour faire gagner la gauche : elle ne divisa pas la droite, qui inventa à cette occasion sa théorie sur le refus de toute alliance avec le Front national, et fit perdre la gauche. La droite eut peur que la stratégie du Président fonctionne au deuxième coup : elle rétablit le système uninominal à deux tours par circonscription, que nous connaissons toujours aujourd’hui, et perdit les législatives de 1988, à la suite de la présidentielle. Ironie de l’histoire… et de la politique ! Cette « dose de proportionnelle », si elle est davantage que symbolique, serait donc une véritable bombe politique. Pour la gauche, elle a deux intérêts : diviser la droite entre droite parlementaire et Front national, alors que ce parti n’a jamais été aussi haut dans les sondages. La droite serait amenée soit à s’allier avec le Front national (ce qui permettrait à la gauche, autorité morale suprême, de crier au scandale), soit à perdre systématiquement… si toutefois les choses vont se déroulent cette fois-ci comme prévu ! La gauche se débarrasserait de son cas de conscience perpétuel, très rarement avoué : « nous sommes de grands démocrates, mais avons un Parlement où le tiers au moins des Français n’est pas représenté ». Surtout, l’avis du peuple serait peut-être davantage écouté, ce qui, dans une République dont le principe est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (article 2 de la Constitution), ne serait pas totalement anormal. Un bon point, donc, pour M. Hollande : la réforme est courageuse et témoigne d’une certaine cohérence. Il y a cependant anguille sous roche, comme nous le montrera très bien la suite des propositions… totalement contradictoires, dans leur principe, avec cette première idée.
A bientôt.
Christian d'Aussois
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