Articles précédents :
Nous avons établi, dans l’article précédent, que Philippe
Ariño adopte ne serait-ce que d’une manière implicite une définition de
l’homosexualité qui n’est pas celle que délivre le Catéchisme de l’Eglise catholique :
tandis que l’Eglise définit l’homosexualité par des actes homosexuels, par les
relations entre des hommes ou des femmes éprouvant une attirance pour des
personnes de même sexe, M. Ariño semble s’appuyer sur une définition de
l’homosexualité qui fait intervenir avant tout le « désir
homosexuel » et ne paraît pas particulièrement nette. Ce n’est cependant
pas le seul point où c’est peu dire que la pensée de l’auteur ne se distingue
pas par sa clarté.
Comment Philippe Ariño affirme qu’il est « erroné
de croire que la Bible parle d’homosexualité »
Certains développements, en effet, ne peuvent que laisser
songeur un lecteur attentif. Philippe Ariño, après avoir déclaré que ce que dit
la sainte Ecriture de l’homosexualité est « sans appel » et qu’il « ne
sert à rien d’euphémiser », parvient ainsi à affirmer de manière
stupéfiante qu’il est « erroné de croire que la Bible parle d’homosexualité ».
On retrouverait tout simplement là sa manie caractéristique de dire une chose
et son contraire, si le texte ne donnait pas l’impression, quoi qu’il en dise,
qu’il s’efforce d’ « euphémiser ». Un glissement progressif s’opère
en effet au fil du texte, que viennent allonger des considérations pour le
moins curieuses sur l’attitude du clergé – nous y reviendrons – comme si le
discours cherchait à faire oublier par sa longueur les premières affirmations –
incontestables – de l’auteur ; comme si des digressions qui, précisément,
n’ont rien de scripturaire, visaient à diluer l’enseignement le plus clair de
la sainte Ecriture tel que l’Eglise l’a toujours compris et transmis.
Comment Philippe Ariño fait dire à l’Evangile ce qu’il
ne dit pas
En effet, c’est bien à une dilution, à un affadissement
notable de la Bible que l’on assiste. M. Ariño l’obtient au moyen d’arguments
pour le moins étonnants. Alors même qu’il a, citations à l’appui, que ce que
dit l’Ecriture est « sans appel », il écrit que les textes
évangéliques « ne se réfèrent pas une seule fois à l’identité
homosexuelle, aux personnes homosexuelles, ni à l’homosexualité – dans le sens
où la société l’entend aujourd’hui, à savoir une union d’amour entre deux
personnes adultes identitairement déterminées par leur orientation sexuelle –,
mais uniquement à un certain désir et aux actes qu’il implique parfois ». On
ne voit pas bien ce qui, dans l’Evangile, fonde de telles assertions : d’autant
plus, comme le remarque Philippe Ariño, assez justement cette fois, que
Notre-Seigneur lui-même ne parle pas de l’homosexualité : c’est donc à
saint Paul qu’il faut se référer.
Or où l’Apôtre inspiré par le Saint-Esprit et « ravi
jusqu’au troisième ciel » (2Cor 12, 2), déclare-t-il ne condamner qu’un « certain
désir » et les « actes qu’il implique parfois » ? On est
bien en peine de répondre. « Au lieu d’user de la femme selon l’ordre de
la nature, ils ont dans leurs désirs, brûlé les uns pour les autres, ayant
hommes avec hommes un commerce infâme, et recevant, dans une mutuelle
dégradation, le juste salaire de leur égarement », écrit saint Paul (Rm I,
27). Il ne s’agit pas d’un « certain désir », mais, très
concrètement, du désir qui porte des hommes ou des femmes à « changer
l’usage naturel en celui qui est contre nature » (Rm I, 26), c’est-à-dire
à pratiquer des actes homosexuels qu’implique précisément, à moins que Philippe
Ariño ne donne à ces mots un sens tout différent de celui qu’on leur prête
ordinairement, une « union d’amour entre deux personnes adultes
identitairement déterminées par leur orientation sexuelle ». On ne voit
pas comment la longueur de la périphrase et l’accumulation des euphémismes pourraient
suffire à atténuer la doctrine sans équivoque prêchée par l’Apôtre.
Comment Philippe Ariño relativise saint Paul
Du reste, Philippe Ariño semble ne pas se cacher de sa
volonté de relativiser les déclarations de saint Paul : « Et encore…
écrit-il. La mention de ceux-ci [des actes homosexuels] est perdue dans une
liste de pratiques répertoriées comme peccamineuses par saint Paul, dans le
contexte très particulier des persécutions des premiers chrétiens. » Ce
qui est inexact dans le cas de l’épître aux Romains, où la condamnation de l’homosexualité,
désignée comme le résultat de « passions d’ignominie » occupe deux
versets entiers (I, 26-27) ; et ce qui est curieux dans le cas de la première
épître aux Corinthiens, qu’il n’est pas inutile de citer : « Ne savez-vous pas que les injustes ne
posséderont point le royaume de Dieu ? Ne vous y trompez point : ni les
impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les
infâmes, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les calomniateurs,
ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu » (1Cor VI, 9-10). Viendrait-il
à l’idée de M. Ariño de déclarer qu’aux yeux de saint Paul l’injustice, l’idolâtrie,
l’adultère, la rapacité, l’avarice, le vol ou l’ivrognerie ne font pas l’objet
d’une condamnation rigoureuse, sous prétexte qu’ils sont perdus dans une liste de pratiques répertoriées comme peccamineuses ?
L’argument laisse rêveur. M. Ariño aurait pu se contenter de déclarer que l’homosexualité
est bien loin d’être le seul péché que condamne l’Eglise, en conformité avec l’enseignement
de la sainte Ecriture, ce qui aurait été aussi exact qu’opportun : il en
fait une pratique répertoriée comme
peccamineuse par saint Paul dans le contexte très particulier des persécutions
contre les premiers chrétiens – les mots ayant un sens, on se demande
pourquoi l’auteur invoque ici le contexte et ne parle pas plus simplement d’une
liste de péchés – pour mieux relativiser les paroles de l’Apôtre : car si
l’on peut relativiser l’importance de l’homosexualité en tant qu’elle prend
place parmi d’autres vices, on ne peut sans mentir et scandaliser relativiser
sa gravité dès lors qu’elle se traduit par des actes génitaux, pour reprendre l’expression
de M. Ariño ; pas plus d’ailleurs qu’on ne peut la justifier moralement,
même lorsqu’elle ne se traduit pas par de tels actes : dès lors qu’elle devient
un désir auquel l’on consent intérieurement, il s’agit, selon les mots de saint
Paul, d’une passion d’ignominie, ce qui est tout à fait logique, en tant qu’un
désir qui a pour objet un acte contre nature (Rm I, 26), intrinsèquement
désordonné, comme le dit le Catéchisme de l’Eglise catholique, ne peut être que
désordonné, même si la faute peut n’être que vénielle.
Comment Philippe Ariño use et
abuse de la discrétion de l’Evangile
Quoiqu’il s’en défende, M. Ariño euphémise donc l’enseignement biblique. Il suffit à cet égard de lui
laisser de nouveau la parole :
Les
lignes traitant directement des actes sodomites dans un ouvrage aussi
gigantesque que la Bible ne se comptent même pas sur les doigts d’une main. Il
est donc erroné de croire que la Bible parle d’homosexualité. Les paroles de
Jésus, d’ailleurs, n’en font jamais mention.
D’où il suit, selon M. Ariño, que parler peu signifie ne
pas parler du tout. L’on pourrait, avec les mêmes raisonnements, si on les
appliquait à la Très Sainte Vierge, qui ne prononce dans tout l’Evangile que
sept paroles, affirmer que la Mère de Dieu n’occupe dans l’histoire du salut qu’une
place tout à fait secondaire et que l’on pourrait donc avantageusement taire
tous les dogmes mariaux. Une telle manière de procéder laisse pour le moins
perplexe.
Il convient cependant de répondre à l’argument qui semble
aux yeux de l’auteur régler tout uniment la question : le silence que
Notre-Seigneur Jésus-Christ a conservé sur le chapitre de l’homosexualité. Ce
silence est réel, et Philippe Ariño n’a pas tort de le relever : mais il
aurait dû rappeler que ce silence ne touche pas seulement l’homosexualité, mais
s’étend pratiquement à tout ce que l’on nomme aujourd’hui à la sexualité. Comme
l’écrivait l’abbé Victor-Alain Berto,
Tout l’Evangile est virginal. Jésus, et Marie sa mère, ont vécu dans la
virginité ; il l'a conseillée aux siens, sans déprécier d'ailleurs le
mariage, comme le plus haut état de vie. Il a donné en quelques phrases la loi
austère de toute chasteté, virginale ou conjugale. La discrétion, la
délicatesse, la réserve de l’Evangile en cette matière sont infinies[1].
En effet, poursuit l’abbé Berto, « le Verbe
incarné n’a point cru qu’il dût condescendre à parler longuement de la chair »,
car, comme Jésus l’enseigne lui-même, les élus sont au ciel comme les anges,
ils n’ont plus d’activité sexuelle (Mt XXII, 30) : venu nous enseigner
notre fin surnaturelle pour nous rendre participants de la vie divine, le Christ
n’a pas jugé opportun, après avoir prêché à tous la chasteté selon son état, de
s’attarder sur la sexualité. Mais, ajoute l’abbé Berto, il « a laissé à
ses Apôtres le soin de se colleter avec les péchés dont elle est la cause »,
de sorte que la discrétion de Notre-Seigneur ne peut en aucun cas être un
prétexte pour relativiser les paroles de l’Apôtre, qui « pur comme une
flamme », se montre « bien plus cru dans son langage ». « Il
avait à faire, dit encore l’abbé Berto, à des gens à qui il fallait parler
clair et mettre les points sur les i. » S’autoriser du silence de
Notre-Seigneur, du reste bien compréhensible dans le contexte juif, où l’homosexualité
est déjà fermement condamnée, pour réduire peu ou prou les claires explications de
saint Paul à des propos circonstanciels, pour affirmer avec aplomb que la Bible
ne parle pas de l’homosexualité est donc faire de la sainte Ecriture un usage
dont c’est peu dire qu’il offense l’infinie révérence dont l’Eglise du Christ
entoure la Révélation divine.
Louis-Marie Lamotte
(A suivre)
[1] Abbé
Victor-Alain BERTO, « L’encyclique Humanae
Vitae et la conscience », La
Pensée Catholique n°117
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