Cet article a pour objet les disques consacrés aux
cantates de Hasse pourvues d’un accompagnement orchestral. La plupart de ces
cantates datent de la dernière période de la production du Saxon, c’est-à-dire
aux périodes viennoise et vénitienne de la vie du compositeur
(1763-1783) ; de plus, quoique Johann Adolf Hasse ait écrit pour la cour
du prince de Saxe plusieurs cantates d’apparat, ces œuvres dresdoises ont
apparemment été jusqu’ici entièrement négligées par la discographie :
seules sont donc accessibles des cantates, souvent écrites sur des textes de
Métastase, composées pour Vienne ou pendant la retraite vénitienne du musicien.
Cantates et symphonie
à quatre, par Véronique Diestchy et l’ensemble Stradivaria
Parmi les enregistrements consacrés à ces cantates, il
faut nommer tout d’abord celui qu’ont réalisé en 1989 la soprano Véronique
Dietschy et l’ensemble Stradivaria dirigé par Daniel Cuiller. La première œuvre
qui y figure est la cantate L’Armonica
de 1769, sur un texte de Métastase. Cette cantate a pour particularité d’être
la première œuvre à avoir été écrite pour l’harmonica de verre que venait de
mettre au point Benjamin Franklin, dont les deux nièces ont participé à la
création de l’œuvre. Après une ouverture typique du style tardif de Hasse, avec
de belles couleurs de cors et de hautbois, la première aria « Ah perche » est un élégant andante
paisible quoique légèrement plaintif. Ce n’est cependant que dans le récitatif
accompagné qui suit que l’harmonica de verre fait son apparition, avant une
longue aria conclusive à caractère pastoral où l’instrument dialogue avec la
voix et l’orchestre (« Alla stagion
di fiori ») et imite le souffle léger du zéphyr printanier.
La seconde cantate qui figure dans ce disque est La Gelosia (La jalousie), composée en
1762 sur un texte de Métastase où un berger, après avoir promis à sa bergère de
n’être plus jaloux, en arrive à la conclusion qu’il s’agit d’une promesse qu’il
n’est pas en mesure de tenir. La première aria, qui suit un récitatif très
expressif, correspond précisément à la promesse du protagoniste. Il s’agit d’un
air très classique, à l’ut majeur non dénué d’une solennité sereine, rehaussé
par les douces couleurs du hautbois. Après un récitatif agité qui voit le
berger céder de nouveau à la jalousie s’ouvre une vigoureuse aria (« Giura il nocchier ») basée sur une
métaphore marine, mais dont la partie centrale, qui recourt à une seconde
métaphore, est particulièrement développée (les cors y imitent l’appel que la
trompette lance au guerrier). L’agitation de l’orchestre signifie cette fois
l’incapacité du protagoniste à demeurer fidèle à son serment.
Si l’interprétation se montre toujours correcte, elle
peut donner cependant l’impression de manquer d’engagement et de vigueur.
Récital Haendel-Hasse, de Vivica Genaux
On peut ajouter, dans cet article consacré aux
enregistrements des cantates avec orchestre, le récital gravé par Vivica
Genaux, accompagnée par Les Violons du Roy de Bernard Labadie, même s’il se
compose tout d’abord d’airs issus de l’opéra Arminio (mis en musique à trois reprises par Hasse en 1730, 1745 et
1753 ; la notice, cependant, se montre si vague qu’elle ne permet pas de
savoir avec certitude de quelle version de cet opéra les arias enregistrées
sont issues). Si la mezzo-soprano se montre très convaincante, la construction
du programme semble peu compréhensible, puisque la chanteuse a fait le choix de
trois airs qui, bien qu’ils soient de colorations différentes (de la confiance
exprimée dans « Ti lascio in
ceppi avinto » aux tendres adieux de « Vaghi rai, pupille amate » en passant par l’élégance de
« Se mia speranza sola »,
où la fluidité de la ligne mélodique et de l’accompagnement orchestral semble
sublimer la douleur du personnage) n’offrent pas les contrastes qu’on aurait
été en droit d’espérer. Le disque se conclut par la cantate La Scusa (L’excuse), sur un texte de
Métastase de tonalité très arcadienne. La première aria (« Trova un sol »), qui fait
intervenir l’orchestre au complet, avec cors, hautbois et flûtes par paires,
est remarquable par l’élégance, la délicatesse expressive et la
restitution d’un climat pastoral idyllique. Dans la seconde aria (« Torna in quell’onda chiara »),
l’évocation de la source donne lieu à l’expression d’une joie jaillissante.
Si l’on peut regretter, dans ce disque, l’usage par
l’ensemble de Bernard Labadie d’instruments modernes (il est vrai tempéré par
l’usage de l’archet baroque pour les cordes), son principal défaut demeure sa
construction peu heureuse, qui privilégie de manière quasi exclusive les airs
de demi caractère.
Il Ciclope – La Danza, par Alain Zaepfel, Véronique
Diestchy et l’ensemble Gradiva
Le meilleur disque consacré aux cantates de Hasse me
semble être celui qu’ont enregistré la soprano Véronique Diestschy et le
contre-ténor Alain Zaepfel, accompagnés par l’ensemble Gradiva. Le programme
rassemble deux œuvres qui sont sans doute les deux dernières cantates du Saxon :
La Danza (1775) et Il Ciclope (1776), cantates basées sur
des textes de Métastase, pour alto et soprano écrites à Venise, dans la
dernière période de la vie et de l’activité créatrice de Johann Adolf Hasse. Il Ciclope est probablement la plus
ambitieuse quoique la plus brève. La cantate s’ouvre sur une introduction
orchestrale caractérisée par un motif frappant que reprend l’orchestre dans le
récitatif accompagné du cyclope Polyphème et qui signifie le trouble dont il ne
parvient pas à se défaire. Suit une aria où les changements de tempi montrent
comment le tempérament brutal et violent du cyclope se trouve tout à coup
désarmé à la vue de Galatée. A ses avances, celle-ci répond cependant par un
intense récitatif accompagné qui exprime l’horreur que lui inspire la vue du
cyclope, puis par un air presque plaintif où elle exprime son amour pour le
berger Acis. La cantate se conclut enfin par un duo emporté où les deux
personnages promettent chacun de se venger et de triompher de l’autre ; l’orchestre
est alors rehaussé de deux cors. La seconde cantate est moins dramatique et
plus délicate : un berger y exprime ses réticences à laisser sa bergère se
rendre à un bal. On peut signaler la magnifique aria de Tircis, « Che ciascun per te sospiri », chef
d’œuvre d’élégance et de sensibilité galante ou le beau duo final.
Si cet enregistrement mérite d’être signalé, c’est non
seulement en raison de l’intérêt des deux œuvres présentées, petites perles de
la production vénitienne tardive de Johann Adolf Hasse, mais aussi en raison de
l’interprétation, dont même la fragilité est pleine de charme et se montre
appropriée au raffinement et à la délicatesse de ces cantates. Les deux
chanteurs parviennent à s’investir pleinement, tant dans les récitatifs, pleins
de vie, que dans les airs ; l’accompagnement instrumental restitue les
couleurs douces et lumineuses qui conviennent à ces œuvres. On peut seulement
regretter la coupure du da capo de l’aria « Che ciascun » dans la cantate La Danza ; pour le reste, on ne saurait trop recommander ce
disque à ceux qui aiment Hasse et la musique de son temps.
Jean Lodez
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Contre-débat est un espace de réflexion et de discussion. Tout le monde peut donc commenter les articles présentés, et ce, même de façon anonyme. Pour assurer la bonne tenue des discussions, les commentaires sont soumis à modération.
Ainsi, il est demandé à nos aimables lecteurs-commentateurs de veiller à l'orthographe de la langue française, ainsi qu'au respect de leurs interlocuteurs.