dimanche 23 décembre 2012

Bref tour d’horizon de la discographie de Hasse (7) : Les cantates d’apparat

Cet article a pour objet les disques consacrés aux cantates de Hasse pourvues d’un accompagnement orchestral. La plupart de ces cantates datent de la dernière période de la production du Saxon, c’est-à-dire aux périodes viennoise et vénitienne de la vie du compositeur (1763-1783) ; de plus, quoique Johann Adolf Hasse ait écrit pour la cour du prince de Saxe plusieurs cantates d’apparat, ces œuvres dresdoises ont apparemment été jusqu’ici entièrement négligées par la discographie : seules sont donc accessibles des cantates, souvent écrites sur des textes de Métastase, composées pour Vienne ou pendant la retraite vénitienne du musicien.

 
Cantates et symphonie à quatre, par Véronique Diestchy et l’ensemble Stradivaria
Parmi les enregistrements consacrés à ces cantates, il faut nommer tout d’abord celui qu’ont réalisé en 1989 la soprano Véronique Dietschy et l’ensemble Stradivaria dirigé par Daniel Cuiller. La première œuvre qui y figure est la cantate L’Armonica de 1769, sur un texte de Métastase. Cette cantate a pour particularité d’être la première œuvre à avoir été écrite pour l’harmonica de verre que venait de mettre au point Benjamin Franklin, dont les deux nièces ont participé à la création de l’œuvre. Après une ouverture typique du style tardif de Hasse, avec de belles couleurs de cors et de hautbois, la première aria « Ah perche » est un élégant andante paisible quoique légèrement plaintif. Ce n’est cependant que dans le récitatif accompagné qui suit que l’harmonica de verre fait son apparition, avant une longue aria conclusive à caractère pastoral où l’instrument dialogue avec la voix et l’orchestre (« Alla stagion di fiori ») et imite le souffle léger du zéphyr printanier.
La seconde cantate qui figure dans ce disque est La Gelosia (La jalousie), composée en 1762 sur un texte de Métastase où un berger, après avoir promis à sa bergère de n’être plus jaloux, en arrive à la conclusion qu’il s’agit d’une promesse qu’il n’est pas en mesure de tenir. La première aria, qui suit un récitatif très expressif, correspond précisément à la promesse du protagoniste. Il s’agit d’un air très classique, à l’ut majeur non dénué d’une solennité sereine, rehaussé par les douces couleurs du hautbois. Après un récitatif agité qui voit le berger céder de nouveau à la jalousie s’ouvre une vigoureuse aria (« Giura il nocchier ») basée sur une métaphore marine, mais dont la partie centrale, qui recourt à une seconde métaphore, est particulièrement développée (les cors y imitent l’appel que la trompette lance au guerrier). L’agitation de l’orchestre signifie cette fois l’incapacité du protagoniste à demeurer fidèle à son serment.
Si l’interprétation se montre toujours correcte, elle peut donner cependant l’impression de manquer d’engagement et de vigueur.
 
Récital Haendel-Hasse, de Vivica Genaux
On peut ajouter, dans cet article consacré aux enregistrements des cantates avec orchestre, le récital gravé par Vivica Genaux, accompagnée par Les Violons du Roy de Bernard Labadie, même s’il se compose tout d’abord d’airs issus de l’opéra Arminio (mis en musique à trois reprises par Hasse en 1730, 1745 et 1753 ; la notice, cependant, se montre si vague qu’elle ne permet pas de savoir avec certitude de quelle version de cet opéra les arias enregistrées sont issues). Si la mezzo-soprano se montre très convaincante, la construction du programme semble peu compréhensible, puisque la chanteuse a fait le choix de trois airs qui, bien qu’ils soient de colorations différentes (de la confiance exprimée dans « Ti lascio in ceppi avinto » aux tendres adieux de « Vaghi rai, pupille amate » en passant par l’élégance de « Se mia speranza sola », où la fluidité de la ligne mélodique et de l’accompagnement orchestral semble sublimer la douleur du personnage) n’offrent pas les contrastes qu’on aurait été en droit d’espérer. Le disque se conclut par la cantate La Scusa (L’excuse), sur un texte de Métastase de tonalité très arcadienne. La première aria (« Trova un sol »), qui fait intervenir l’orchestre au complet, avec cors, hautbois et flûtes par paires, est remarquable par l’élégance, la délicatesse expressive et la restitution d’un climat pastoral idyllique. Dans la seconde aria (« Torna in quell’onda chiara »), l’évocation de la source donne lieu à l’expression d’une joie jaillissante.
Si l’on peut regretter, dans ce disque, l’usage par l’ensemble de Bernard Labadie d’instruments modernes (il est vrai tempéré par l’usage de l’archet baroque pour les cordes), son principal défaut demeure sa construction peu heureuse, qui privilégie de manière quasi exclusive les airs de demi caractère.
 
Il CiclopeLa Danza, par Alain Zaepfel, Véronique Diestchy et l’ensemble Gradiva
Le meilleur disque consacré aux cantates de Hasse me semble être celui qu’ont enregistré la soprano Véronique Diestschy et le contre-ténor Alain Zaepfel, accompagnés par l’ensemble Gradiva. Le programme rassemble deux œuvres qui sont sans doute les deux dernières cantates du Saxon : La Danza (1775) et Il Ciclope (1776), cantates basées sur des textes de Métastase, pour alto et soprano écrites à Venise, dans la dernière période de la vie et de l’activité créatrice de Johann Adolf Hasse. Il Ciclope est probablement la plus ambitieuse quoique la plus brève. La cantate s’ouvre sur une introduction orchestrale caractérisée par un motif frappant que reprend l’orchestre dans le récitatif accompagné du cyclope Polyphème et qui signifie le trouble dont il ne parvient pas à se défaire. Suit une aria où les changements de tempi montrent comment le tempérament brutal et violent du cyclope se trouve tout à coup désarmé à la vue de Galatée. A ses avances, celle-ci répond cependant par un intense récitatif accompagné qui exprime l’horreur que lui inspire la vue du cyclope, puis par un air presque plaintif où elle exprime son amour pour le berger Acis. La cantate se conclut enfin par un duo emporté où les deux personnages promettent chacun de se venger et de triompher de l’autre ; l’orchestre est alors rehaussé de deux cors. La seconde cantate est moins dramatique et plus délicate : un berger y exprime ses réticences à laisser sa bergère se rendre à un bal. On peut signaler la magnifique aria de Tircis, « Che ciascun per te sospiri », chef d’œuvre d’élégance et de sensibilité galante ou le beau duo final.
Si cet enregistrement mérite d’être signalé, c’est non seulement en raison de l’intérêt des deux œuvres présentées, petites perles de la production vénitienne tardive de Johann Adolf Hasse, mais aussi en raison de l’interprétation, dont même la fragilité est pleine de charme et se montre appropriée au raffinement et à la délicatesse de ces cantates. Les deux chanteurs parviennent à s’investir pleinement, tant dans les récitatifs, pleins de vie, que dans les airs ; l’accompagnement instrumental restitue les couleurs douces et lumineuses qui conviennent à ces œuvres. On peut seulement regretter la coupure du da capo de l’aria « Che ciascun » dans la cantate La Danza ; pour le reste, on ne saurait trop recommander ce disque à ceux qui aiment Hasse et la musique de son temps.
 
Jean Lodez

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