Rassemblement "Ecclesia Campus", regroupant les communautés chrétiennes des grandes écoles françaises (Source : http://jeunescathos49.fr/cge-chretiens-en-grandes-ecoles/)
Dans la brochure publiée pour la rentrée de septembre
2012 par les aumôneries chrétiennes
(sic) d’une grande école parisienne dont nous tairons le nom par souci d’éviter
d’inutiles polémiques et parce que la brochure n’était probablement pas
destinée à être diffusée hors de l’école, quoiqu’en soi rien ne s’y oppose, une
« présentation de l’aumônerie » pour le moins surprenante. En effet,
cette présentation consiste en sept « tentatives désespérées de
définition » dont c’est peu dire que le contenu laisse songeur.
De curieuses définitions
« Tentatives désespérées » : chacun sait
pourtant, au moins confusément, ce qu’est une aumônerie ; et le
dictionnaire en donne une définition assez claire : service du culte assuré dans des établissements publics ou à proximité.
Du culte, il n’est cependant jamais explicitement
question dans les sept « tentatives ». On peut comprendre que la
définition du dictionnaire ait paru pour ainsi dire trop froide, trop
impersonnelle aux rédacteurs de la brochure, et que ceux-ci, désireux de ne pas
se borner aux aspects les plus étroitement institutionnels, aient voulu mettre
en évidence la dimension proprement spirituelle de leur aumônerie. Las ! C’est
en vain qu’on cherchera, dans ces sept points, la mention des noms de Dieu, de
Jésus-Christ, de la Très Sainte Vierge Marie. L’Eglise, qui donne
vraisemblablement à l’aumônerie sa mission, n’apparaît pas davantage, non plus
que l’Evangile, même s’il est tout de même question de « textes
bibliques » et d’un « commentaire exégétique » (n°3). On trouve
une occurrence de « méditation » (n°1), mais sa portée spirituelle
est aussitôt diminuée par une parenthèse qui fait certes référence à Lamartine,
mais relativise surtout sa dimension religieuse – comme s’il fallait montrer
absolument qu’elle n’est pas, qu’elle ne doit en aucun cas devenir exclusive.
Ne pas faire trop de place aux vérités de la foi
catholique : tel semble être le principe général qui a guidé la rédaction
de la brochure. Car si Dieu n’apparaît guère, on souligne à loisir que
l’aumônerie est une « concentration massive de questions personnelles, de
doutes, d’introspections, de méditations (poétiques) et religieuses, de
« peut-être », de discussions » (n°1), qu’elle est un
« ensemble de joyeux lurons incapables de tenir en place » (n°3), une
« ligue de justiciers prônant infailliblement la paix et
l’amour » (n°6), un « éternel chantier sans définition » (n°7). En
un mot, tout ce qui n’est pas religieux semble y trouver sa place.
Une belle invention : la foi originale
Mieux encore, si l’on peut dire, et peut-être ce mot
résume-t-il tout, cette aumônerie, nous dit-on, est le « lieu de
construction d’une foi originale[1] »
(n°5). Foi originale, en effet : on nous apprend qu’elle est
« élaborée dans un espace-temps assez relatif, à partir d’arguments
hétéroclites chapardés çà et là, de témoignages poignants ou simplissimes,
d’expériences humaines ou humanitaires, de principes et valeurs paradoxaux, et
partagés avec un parterre changeant d’interlocuteurs ». Foi originale en effet que cette foi qui
n’a plus pour auteur et consommateur Notre-Seigneur Jésus-Christ (Hébr XII, 2),
dont les paroles, nous dit l’Evangile, ne passeront pas (Mt XXIV, 35),
puisqu’on nous dit que cette foi, loin de naître de la prédication entendue (Rm
X, 17), est élaborée. Il faut croire
que l’originalité de cette foi la rend tout à fait relative, puisque
l’aumônerie, nous dit-on, « n’est en aucun cas censée apporter une réponse
définitive » (n°1). Car cette foi
originale n’est plus l’adhésion de l’intelligence et du cœur à la vérité
révélée en vertu de l’autorité de Dieu[2],
à laquelle on ne saurait rien retrancher sans la perdre tout à fait, mais une construction, et faite d’arguments, et
d’arguments hétéroclites, une foi tout humaine dont l’on retirera ce que l’on
voudra : en effet, on nous dit avec l’aplomb le plus admirable que
l’aumônerie est un groupe de « moi-je-ne-crois-pas-en-ça » (n°2). Ce
que peut bien être le ça auquel on ne
croit pas, on ne nous le dit pas, et c’est sans doute heureux.
« Ce que je crois, allez le demander à Rome », disait
après sa conversion Ferdinand Brunetière, qui n’avait pas la foi originale. Car la foi catholique, et
c’est bien malheureux, mais c’est ainsi, n’est pas originale.
« La théologie, écrivait en effet l’abbé Victor-Alain Berto en des termes que
l’on devrait méditer davantage, est une science mauvaise, une science méchante, une
science maudite, si elle se vide de son contenu primordial, qui est un
catéchisme identique au catéchisme du plus illettré des chrétiens. Je
crois ce que croient nos enfants, et
malheur à moi si je ne le croyais pas, et en un sens très vrai, je n'en sais
pas plus long qu’eux[3]. » Que la brochure
soit destinée à de jeunes intellectuels soucieux d’originalité ne plaide donc
pas en sa faveur, bien au contraire : car c’est une chose, sous prétexte
d’apostolat, que de vouloir les attirer à soi, c’en est une autre que de les
flatter dans leur mauvais penchant en leur prêchant une foi originale, c’est-à-dire autre chose que la foi catholique.
Des illusions tenaces
On objectera, non sans quelque raison, qu’il ne faut pas prendre trop au
sérieux des affirmations aussi vides de sens ; qu’il s’agit de
plaisanteries, d’un goût douteux et d’un humour déplorable, certes, mais de
plaisanteries tout de même, et qu’il convient de les considérer comme
telles ; et en effet une telle présentation ne se veut assurément pas
sérieuse. Admettons donc à la rigueur que le discours pour le moins curieux sur
la foi originale ne soit que l’effet de la légèreté : il reste que les
rédacteurs de la brochure font de cette légèreté supposée spirituelle le grand moyen de leur apostolat ; que les membres
de l’aumônerie seront bel et bien regardés, non comme des catholiques pieux,
désireux de s’instruire des vérités de la foi et de croître dans l’amour de
Dieu, mais comme les « joyeux lurons » que nous annonce l’une des
« tentatives » (n°3). On ne saurait mieux ridiculiser la religion
sous prétexte d’apostolat et de présence au monde ; on ne saurait surtout
mieux s’illusionner sur l’effet que produit un tel texte sur celui qui le lit[4]. Car que pensera une
personne extérieure à cette aumônerie ? – Que les catholiques sont des
histrions incapables d’affirmer clairement leur foi et la raison de leur
espérance. Une telle présentation prétend changer l’image guindée des
catholiques pour la rajeunir, la rendre plus attrayante, plus sympathique ;
elle ne réussit qu’à leur donner un air d’affectation, de joie factice, et tout
simplement de manque de sérieux, alors même qu’il est question – ou plutôt,
hélas, qu’il n’est pas question – de la foi et de la vie de Dieu en nous. A ce
titre, la brochure est symptomatique de la ténacité de certaines illusions
pastorales, par lesquelles l’on pense qu’il suffit de se donner des allures de
dynamisme et de modernité pour évangéliser ; que dans le fond c’est en
trouant les filets que l’on attrape le poisson. Elle est une preuve, s’il en
fallait une, que la pastorale de l’enfouissement, en dépit de toutes les ruines
qu’elle a accumulées, domine encore bien des esprits, jusque dans la jeunesse
catholique parisienne.
En effet, on ne peut désigner autrement un apostolat qui tait le nom de
Jésus-Christ, et qui au lieu des vérités éternelles parle seulement d’un
« je-ne-sais-quoi-qui-changera-la-face-du-monde » qui « se
cache » « sous les pavés » (sic, n°6). Or, précisément, un
chrétien sait ce qui change la face du monde : la grâce du Dieu qui fait
toutes choses nouvelles (Apoc XXI, 5) ; et il sait que ce n’est pas sous
les pavés qu’il la trouvera ; de même qu’il sait que la foi, parce qu’elle
a pour auteur et pour consommateur celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie,
l’alpha et l’oméga, apporte une « réponse définitive ». Que peut bien
signifier cette affectation d’ignorance de la part de jeunes catholiques
cultivés et certainement pieux ? Et que peut signifier l’affectation
d’agnosticisme libéral qui leur fait déclarer qu’ils ne « tolèrent que la
tolérance » (n°6) ? Ce que la présentation nous sert, jusqu’à la
nausée, c’est en quelque sorte le nouveau visage de la pastorale de
l’enfouissement, où le jeunisme bêtifiant le dispute au refus soi-disant
apostolique de proclamer clairement et ouvertement la foi.
Il ne faut pas prendre tout cela au sérieux, dira-t-on. Mais
précisément ! Ces catholiques font tout pour n’être pas pris au sérieux,
c’est l’hameçon auquel ils pensent que mordront les âmes, sans voir que c’est
aux vérités de notre foi qu’ils enlèvent leur sérieux, au lieu de montrer ce
qu’elles ont d’éminemment nécessaire, et c’est ainsi qu’ils mettent sous le boisseau
les mystères du Christ. De deux choses l’une : ou bien les rédacteurs
mentent sur la marchandise qu’ils prétendent vendre ; ou bien ils ne
mentent pas, et leur marchandise est frelatée ; c’est un sel sans saveur,
ce sel même dont Notre-Seigneur nous dit qu’il ne mérite que d’être foulé aux
pieds par les hommes (Mt V, 13).
Louis-Marie Lamotte
[1] C’est moi qui
souligne.
[2] « Nous
croyons vraies les choses révélées, déclare le premier concile du Vatican (Dei Filius), non pas à cause de la
vérité intrinsèque des choses perçue par les lumières naturelles de la raison,
mais à cause de l'autorité de Dieu lui-même, qui nous les révèle et qui ne peut
ni être trompé ni tromper. »
[3] Abbé
Victor-Alain BERTO, « La théologie non-euclidienne et le peuple
orphelin »
[4] S’agit-il
vraiment d’une plaisanterie ? Assurément oui, sous un certain rapport,
celui du ton adopté par la présentation. On ne peut que noter cependant que
certaines informations sont exactes, par exemple lorsqu’il est dit que
l’aumônerie rassemble des personnes de « confessions multiples »,
puisque l’aumônerie comprend en fait une aumônerie catholique et une aumônerie
protestante. Les activités évoquées au n°3 correspondent de même à des
activités réelles de l’aumônerie, mentionnées plus loin dans la brochure. Certaines
exclamations n’ont probablement rien d’ironiques ; ainsi :
« N’est en aucun cas censée aboutir à un profil-type
sociologique ! » (n°2) ; on imagine mal en effet cette aumônerie
ne vouloir s’adresser qu’à un seul « profil-type sociologique ».
S’agit-il d’une
plaisanterie ? La présentation en a le ton, mais l’on peut craindre
qu’elle ne corresponde à l’image que les rédacteurs ont effectivement voulu
donner de leur aumônerie.
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