dimanche 9 septembre 2012

Pourquoi les catholiques ne comprennent plus l’enseignement de l’Eglise : à propos d’un article de René Poujol

René Poujol, journaliste à l’hebdomadaire Le Pèlerin, a publié récemment sur son blogue une réponse[1] à une tribune où Natalia Trouiller, journaliste elle aussi, s’efforçait de mettre en évidence la valeur et la beauté de l’enseignement de l’Eglise catholique en matière de morale sexuelle[2]. Après avoir assuré Natalia Trouiller de son estime et de son amitié, et l’avoir remerciée d’avoir sereinement exprimé son point de vue, René Poujol se déclare cependant insatisfait de la réponse qui lui est faite.

En effet, écrit-il, la tribune qui lui est opposée est un témoignage, et n’aurait donc en tant que telle aucune valeur argumentative réelle :
Nous expliquer que vous avez trouvé le bonheur dans une totale fidélité à l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité reste insuffisant à fonder que ce puisse être là, pour tous, le chemin de leur propre bonheur. Permettez-moi de me citer. J’écrivais dans mon texte : «Et que l’on ne vienne pas m’objecter l’existence de couples, fidèles à l’enseignement du Magistère, qui vivent cette exigence comme chemin de sanctification… J’ai pour eux le plus profond respect mais cela ne me convainc pas de la justesse de la discipline à laquelle ils s’obligent. »
Le problème d’une telle objection est qu’elle peut être exactement retournée à son auteur : que Monsieur Poujol et un certain nombre de chrétiens déclarent insupportable, inopportun ou insatisfaisant l’enseignement de l’Eglise catholique sur la sexualité est tout aussi « insuffisant à fonder » que cet enseignement ne soit pas objectivement vrai et nécessaire. Il convient donc d’examiner, au-delà de cette première objection faite par René Poujol à sa contradictrice, le fond de l’argumentation du journaliste.

Ce que René Poujol reproche à l’Eglise
Ce qu’il reproche en fait à l’enseignement de l’Eglise, c’est son « acharnement à vouloir dire le permis et le défendu » qui, nous dit-il, rend son message impossible à comprendre pour nos contemporains. Il propose donc de « sortir d’une logique du permis et du défendu, pour proposer généreusement, dans notre société, toute la richesse de la tradition biblique et évangélique pour que chacun, là où il en est de sa vie affective et à partir de ce qu’il vit, puisse s’approcher d’un idéal de vie et de la sainteté ». Il s’agit de renoncer aux « leçons de morale » et de témoigner que « la sexualité est belle et bonne pour peu qu’elle soit humanisée ; qu’il peut suffire d’un regard de tendresse pour transformer un acte physique de possession en mélodie amoureuse ; que l’épanouissement sexuel du couple est compatible avec le mariage et qu’il survient toujours un moment de vérité, dans l’histoire d’un homme et d’une femme ».

Un « questionnement » très profane
Si un tel discours laisse perplexe, c’est que si René Poujol reproche à Natalia Trouiller de ne pas répondre à son « questionnement », c’est en fait parce que ce questionnement n’est pas chrétien, en tant qu’il demeure entièrement profane. Bien des chrétiens, nous dit-il, peinent à établir un lien entre le saint Evangile et la doctrine catholique « moralisatrice » telle qu’elle est enseignée par les Papes ; mais il est loisible une fois encore de renverser le « questionnement » de notre journaliste, de demander où, dans le saint Evangile, Notre-Seigneur Jésus-Christ tient le discours de Monsieur Poujol sur l’épanouissement sexuel des couples ; l’Evangile au contraire, comme le note l’abbé Berto, garde sur ce chapitre une réserve dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fait défaut à certaine « théologie du corps » qu’on a vu fleurir en milieu catholique depuis quelques décennies, tandis que saint Paul se montre bien aussi « moralisateur » que le Magistère. Non que le discours de René Poujol soit entièrement faux[3] : mais il s’obstine à aborder le problème de telle sorte que l’enseignement de l’Eglise ne peut plus sembler qu’incompréhensible.

Le problème tel que le voit l’Eglise
En effet, le problème de l’Eglise n’est pas en tant que tel l’ « épanouissement sexuel » des couples, mais la gloire de Dieu et le salut éternel des âmes qu’elle s’efforce de mener au Christ. Ce que la sainte Eglise considère avant tout, c’est la vie de la grâce dans les âmes, cette vie que Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu nous communiquer en abondance en prenant notre chair et en s’offrant pour nous au Calvaire. Si l’Eglise condamne l’usage de la contraception, ce n’est donc pas pour le plaisir de « dire le permis et le défendu », comme le prétend René Poujol : c’est parce qu’elle sait qu’il est de son devoir le plus impérieux de détourner les fidèles des péchés qui font obstacle à l’augmentation de la grâce dans leurs âmes ; c’est parce qu’elle sait que la sexualité, quelle que soit son évidente importance en tant qu’elle préside à la procréation, n’est que peu de choses en regard de l’éternelle destinée des âmes – et, puisque René Poujol se plaint de ce qu’il est difficile aux catholiques de saisir la cohérence du Magistère ecclésiastique avec l’Evangile, c’est à Notre-Seigneur lui-même qu’il convient de laisser la parole : « A la résurrection, on n’épouse pas et on n’est pas épousé ; mais on est comme des anges de Dieu dans le ciel » (Mt XXII, 30).
Cette parole, dit l’abbé Victor-Alain Berto, éclaire tout. « Ainsi, écrit-il, trente, quarante ou cent ans d'activité sexuelle, et encore facultative, et encore avec de longues suspensions, et encore biologiquement et moralement soumise à des lois restrictive – puis une éternité, une éternité ! de vie angélique, où la personne débarrassée de son engagement dans une espèce animale, s'épanouit sans fin en des activités spirituelles de connaissance et d'amour, même après la résurrection de la chair[4]. » Voilà quelle est la perspective de l’Eglise : l’éternité, devant laquelle la sexualité qu’on nous donne désormais comme indispensable à l’épanouissement personnel n’a qu’une importance toute relative.

Un curieux naturalisme
Ainsi, lorsque René Poujol, journaliste chrétien, déclare qu’on ne peut demander la continence à un homosexuel au nom de sa sanctification personnelle[5], il nous donne un bon exemple de ce qu’il faut bien appeler un naturalisme catholique, qui méconnaît que Notre-Seigneur nous a demandé d’être parfaits comme son Père céleste est parfait, que la miséricorde exige de chacun de nous la conversion ; qui ignore dans le fond tout l’enseignement de l’Eglise sur cette grâce sanctifiante dont les théologiens nous disent qu’elle est semence de la gloire[6]. Car ce que René Poujol ne voit pas ou ne veut pas voir, c’est qu’il existe des formes d’activité sexuelle qui, parce qu’elles ignorent ou bafouent la fin primaire que la loi morale naturelle donne à l’acte conjugal, blessent gravement notre relation à Dieu et au prochain et nous font perdre la vie de la grâce ; et contre ces péchés, il n’est pas d’avertissement assez fort, pas d’appel à la conversion assez pressant que puisse lancer l’Eglise, soucieuse du bien des âmes. Ce n’est pas que l’épanouissement sexuel des couples soit nécessairement sans importance : c’est simplement que cet épanouissement ne peut que demeurer subordonné au salut éternel, sans quoi il n’est qu’un moyen de s’illusionner et de détourner son âme de ce qui constitue son vrai bien.  
En ne critiquant le libéralisme moral qu’en tant qu’il serait un obstacle à l’épanouissement sexuel des couples, René Poujol néglige donc qu’il suffit d’un seul péché mortel pour faire perdre à l’âme la grâce sanctifiante, et que le péché impur contre l’ordre de la nature « crie vengeance devant la face de Dieu », selon l’expression du Catéchisme de saint Pie X. « On dit que ces péchés crient vengeance devant la face de Dieu, parce que l’Esprit-Saint le dit, et parce que leur iniquité est si grave et si manifeste qu’elle provoque Dieu à les punir des plus sévères châtiments. » Si l’Eglise tient tant à « dire le permis et le défendu », comme le dit René Poujol, c’est donc peut-être qu’elle s’efforce d’épargner aux âmes les « sévères châtiments » ; c’est peut-être tout simplement qu’elle tient à leur conserver la vie de la grâce, qui leur permet de s’écrier comme saint Paul : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Cela, quoi qu’en dise le journaliste, n’est pas morale bourgeoise[7], mais pure doctrine chrétienne.

Pourquoi les catholiques ne comprennent plus l’enseignement de leur Mère l’Eglise
Que l’épanouissement sexuel du couple n’est rien en comparaison avec le salut éternel : voilà ce que René Poujol tait tout au long de sa réponse à Natalia Trouiller ; et voilà peut-être pourquoi son article ne fait qu’ajouter à la confusion générale en pareille matière. Car il se trouvera toujours sur la terre des hommes pour trouver leur épanouissement sexuel dans des pratiques qui bafouent la loi morale naturelle ; ces pratiques n’en seront pas moins contraires à la volonté de Dieu, elles n’en seront pas moins un obstacle à la vie surnaturelle que Dieu veut communiquer aux âmes. L’enseignement de l’Eglise sur la sexualité, déplore René Poujol, n’est plus compris par les catholiques eux-mêmes. Peut-être le serait-il davantage si les journalistes chrétiens leur servaient une autre nourriture que ce singulier naturalisme qui les détourne des fins dernières de l’homme et des réalités éternelles dans lesquelles la rigueur de cet enseignement trouve son principe et sa fin[8].

Louis-Marie Lamotte 




[3] En effet, l’observation de l’enseignement de l’Eglise procure généralement l’épanouissement en tant qu’elle correspond à l’accomplissement de la loi naturelle créée par Dieu.
[4] Abbé Victor-Alain BERTO, « L’Encyclique Humanae Vitae et la conscience », La Pensée Catholique n°117, octobre 1968
[5] « Vous sentez-vous d’aller expliquer à des personnes homosexuelles que ne pouvant avoir accès, par effet de nature, à l’une des finalités de la sexualité : la transmission de la vie, l’Eglise estime, pour leur sanctification, qu’ils doivent ad vitam aeternam s’interdire la seconde : le plaisir et l’épanouissement du couple ! Moi, je ne le ferai pas. »
[6] Saint Thomas d’Aquin déclare ainsi : « La grâce n’est pas autre chose qu’un certain commencement de la gloire en nous » (cité par le P. Garrigou-Lagrange dans Les trois conversions et les trois voies, Dominique Martin Morin, 1999, p. 31).
[7] Le journaliste estime en effet opportun de déclarer qu’exiger des populations pauvres l’observation de l’enseignement de l’Eglise est hypocrite. Cette objection, outre le dédain qu’elle peut signifier à l’endroit de populations dont l’on suppose qu’elles seraient incapables de garder la continence, est d’autant plus hors de propos que les catholiques sourds au Magistère dont parle René Poujol habitent principalement dans des pays riches de l’Europe occidentale.
[8] Il ne s’agit pas ici de nier l’existence d’une loi morale naturelle qu’il est possible d’exposer à l’aide des seules lumières de la raison, bien au contraire. Mais en dépit de la nécessité impérieuse pour l’Eglise d’exposer à temps et à contretemps cette loi naturelle universelle que Dieu a gravée dans tous les cœurs (Rm I, 18-21), l’Eglise manquerait gravement à sa mission si d’aventure elle en venait à taire les vérités surnaturelles dont son divin fondateur lui a confié la prédication.
Le silence que le journaliste s’obstine à conserver sur le chapitre de la grâce et des fins dernières est ici d’autant plus difficilement compréhensible qu’il s’adresse semble-t-il prioritairement à des catholiques.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Contre-débat est un espace de réflexion et de discussion. Tout le monde peut donc commenter les articles présentés, et ce, même de façon anonyme. Pour assurer la bonne tenue des discussions, les commentaires sont soumis à modération.

Ainsi, il est demandé à nos aimables lecteurs-commentateurs de veiller à l'orthographe de la langue française, ainsi qu'au respect de leurs interlocuteurs.