jeudi 24 novembre 2011

Billet de campagne 3 – Un mariage civil homosexuel bien mal défendu


Le 12 novembre, un article de L’Express débutait comme suit :

« Le maire de Cabestany, dans les Pyrénées-Orientales, a symboliquement célébré le mariage civil de deux hommes pour inscrire le mariage homosexuel dans le débat de la présidentielle de 2012. »

S’il suffit que l’un des 36 782 maires que compte la France s’adonne en public à un acte illégal pour que ledit acte devienne partie intégrante du « débat de la présidentielle de 2012 », la campagne promet d’être très riche. Passons.

Discrimination ?

« On est des citoyens comme les autres », affirment nos deux messieurs, comme pour proclamer un argument massue qui rendrait à lui seul scandaleuse la législation actuelle sur le mariage. Certes, ils sont des citoyens comme les autres – personne ne peut le contredire. Mais justement, étant des citoyens comme les autres, ils ont, comme tous les autres citoyens, le droit de se marier avec une personne de sexe opposé. Il n’y a ici aucune discrimination – au contraire, c’est, pour une fois, l’égalité la plus parfaite qui s’applique : riches, pauvres, noirs, blancs, chanceux, malchanceux, parisiens, provinciaux, sachez-le : vous pouvez tous vous marier avec une seule personne (à la fois, du moins) et de sexe opposé ! Pour qu’il y ait « discrimination », en effet, c'est-à-dire inégalité, il faudrait qu’à situation similaire, le traitement soit différencié. Objection : c’est le cas. Un homosexuel ne peut pas se marier, car seuls les hétérosexuels le peuvent : inégalité, discrimination, horreur. Nous répondons laconiquement : faux. Un homosexuel peut tout à fait se marier, de même qu’un hétérosexuel, avec une personne de sexe opposé. L’égalité entre eux est juridiquement parfaite.

L’objection précédemment relevée est en fait plus profonde, car elle sous-entend qu’il y a équivalence entre le fait pour un homosexuel de se marier avec un autre homosexuel et le fait pour un hétérosexuel de se marier avec un autre hétérosexuel. Dès lors, si le mariage homosexuel n’est pas autorisé, il y a juridiquement, certes, égalité, mais il n’y a en aucun cas équité. D’où la discrimination. Voilà comment tourner l’argument de manière intéressante – il est dommage que nous soyons obligés de le faire à leur place. Mais, là encore, de gros problèmes subsistent. En effet, cette théorie revient à donner une valeur juridique à la relation entre les personnes plus qu’à la personne elle-même. On considère ici l’union de mariage, plus que le droit de la personne à se marier. Dans ce raisonnement, c’est en tant qu’il y a homosexualité ou hétérosexualité que l’on se marie, non en tant qu’individu choisissant le mariage. Soyons très concrets. Un homosexuel peut se dire « j’ai en tant qu’individu le droit de me marier, mais je ne le souhaite pas car je n’ai pas envie de fréquenter quelqu’un du sexe opposé ». L’individu, libre de se marier ou non, prime dans ce raisonnement. Mais il peut aussi se dire « je n’ai pas le droit de me marier, car le mariage pour moi n’a aucun sens s’il est contracté avec une personne de sexe différent ». C’est ici la relation (homosexuelle) qui prime. Ce raisonnement est anti-individualiste. Cet homosexuel ne se considère plus comme un citoyen de 1789, revendiquant des droits individuels et égaux pour tous (« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », « tous les citoyens [sont] égaux » aux yeux de la loi, rappelle la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans ses articles I et VI). Il veut des droits différenciés en fonction des différentes relations qui unissent les individus. Pour toutes ces raisons, il faut bien comprendre que l’argument qui consiste à faire de l’absence de mariage homosexuel une discrimination est en réalité profondément antirépublicain. Certains homosexuels ne s’y trompent d’ailleurs pas, et refusent le mariage homosexuel, argumentant comme ceci : « Au lieu de laisser la liberté sexuelle prospérer, s'épanouir, [au lieu, donc, de conserver le primat de l’individu qui fait ce qu’il veut, ndlr] on cherche maintenant comment la ranger dans de vieilles boîtes », appelées « le cadre préétabli du mariage et de la vie de famille », c’est-à-dire un cadre qui privilégie la relation et le corps social sur l’individu – on est dans l’anti-modernité.
« On est des citoyens comme les autres ». Certes, mais cela veut dire que, comme tous les autres citoyens, vous êtes soumis à une loi qui est la même pour tous. Sauf si vous êtes anti-individualistes, mais alors il ne fallait pas employer le terme de « citoyen ». Raté pour cette fois.
  
C’est beau, l’amour

« On se marie parce qu'on s'aime » affirment aussi nos deux individus. C’est leur second et dernier argument. Entendons-nous bien : militer pour le mariage homosexuel, c’est porter revendication juridique. Le mariage civil est un acte juridique. Nulle mention, dans le Code civil, de la nécessité d’un quelconque « amour » pour se marier : l’article 146 prévoit seul qu’« il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement » (ayons une petite larme : cet article n’a pas été modifié depuis le 27 mars 1803, date de promulgation du Code civil). En effet, dans une société où l’individu prime sur la relation, le consentement est la base de tout. Cet article montre bien que le mariage est un contrat juridique, dont tout sentimentalisme amoureux est absent[1]. Et en effet : la société n’a pas d’intérêt spécifique à reconnaître l’amour qui unit deux de ses membres : c’est une affaire privée. En revanche, elle a grand intérêt à reconnaître que « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir » (article 213). Parce qu’éduquer des enfants et s’occuper d’une famille coûte très cher, à la fois humainement et pécuniairement. En échange de ce « service rendu », il est donc tout naturel que la société accorde à l’homme et à la femme certains avantages conférés dans le cadre du mariage. C’est moins romantique, certes, mais c’est comme cela que fonctionne une société, association d’êtres humains. Dès lors, l’argument de l’ « amour » ne tient pas. L’enjeu est le suivant : une « famille » homosexuelle peut-elle apporter autant à la société qu’une famille hétérosexuelle ? Ce serait difficile, car les homosexuels ne peuvent avoir d’enfants. Réponse : on autorisera l’adoption. Mais c’est un processus difficile et long. Reste encore à savoir s’il n’est pas meilleur pour un enfant d’avoir deux parents de sexes opposés. En fait, le seul argument qui tienne est : « nous voulons le mariage, parce que nous voulons l’adoption ». Mais ce n’est étrangement jamais celui qui est développé.

Pour cela, en effet, il faudrait davantage d’honnêteté. Il faudrait arrêter de prendre tous ceux qui s’opposent à une prétendue « marche de l’histoire » pour d’affreux réactionnaires favorables aux discriminations, « homophobes » et profondément « fermés ». Il faudrait accepter le débat, la contradiction, la réflexion. Tout ce que les associations homosexuelles, et beaucoup de journalistes, comme le montre si bien cet article de L’Express, ont toujours refusé. Il paraît que le mariage homosexuel fait désormais partie du « débat de la présidentielle de 2012 ». Nous analyserons donc, quand ils viendront[2], les arguments de chaque candidat, en espérant que l’esprit critique soit enfin convoqué dans l’arène de la campagne.

Christian d'Aussois


[1] Il ne s’agit pas ici de dénigrer l’amour, ou de débattre sur la différence entre les amours hétérosexuel et homosexuel. Nous considérons la revendication du mariage homosexuel seule, qui est juridique, puisqu’elle vise à changer la loi.
[2] Nos recherches sur ce point ont été jusqu’à présent infructueuses, bien malheureusement.

6 commentaires:

  1. Bonsoir, vous écrivez: "certain homosexuels.. veulent des droits différenciés en fonction des différentes relations qui unissent les individus."
    De fait le mariage prend en compte la relation hétérosexuelle comme base et fondement du mariage, en précisant la présence "naturelle" de l'enfant en son sein.
    Il est de ce fait faux de dire que le mariage n' a pas de définition précise
    ( http://bit.ly/t6xF5t ).
    Sans préjugé aucun, l' état "prend acte" de la nécessité de l'altérité dans la création d'une Famille,ce qui est dommageable c'est qu'il n' aille pas jusqu'au bout en reconnaissant le "droit naturel" et donc le droit de l' enfant à avoir un Père et une Mère, ce qui "clos" le débat sur la capacité ou non à éduquer !
    Le coeur du problème me semble être donc la reconnaissance d'un droit naturel qui ferait barrage à une (des) revendication émancipatrice galopante....
    (invitation à méditer: http://bit.ly/pf13Lx )
    Merci pour votre billet et votre Blog,
    Cordialement,
    Fpp
    https://twitter.com/#!/fautpaspousser

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  2. Il y a en effet quelque chose de très curieux dans l'argumentation des partisans du « mariage » homosexuel. Ils ne placent en effet leurs arguments que sur le plan juridique, invoquant une « égalité des droits » à concrétiser contre la « discrimination » dont ils feraient l'objet.

    Mais si leurs arguments « juridiques » ne sont guère convaincants, ce que démontre cet article, c'est que le fond du problème, reconnaissons-le, n'est pas juridique. Il n'est même pas politique ; il est anthropologique. Ce que veulent les partisans du « mariage » homosexuel, ce n'est pas faire respecter le principe d'égalité des individus eu égard à l'institution sociale juridiquement définie qu'est le mariage civil ; ce qu'ils veulent, c'est tout simplement changer la définition du mariage.

    C'est un tout autre plan.

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  3. "Parce qu’éduquer des enfants et s’occuper d’une famille coûte très cher, à la fois humainement et pécuniairement. En échange de ce « service rendu », il est donc tout naturel que la société accorde à l’homme et à la femme certains avantages conférés dans le cadre du mariage. C’est moins romantique, certes, mais c’est comme cela que fonctionne une société, association d’êtres humains. "

    Pour que les opposants à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe améliorent leur argumentaire, il va falloir aussi procéder à quelques évolutions.

    Si vous affirmez ce qui est dit dans la phrase citée, il faut refuser aux couples de sexe différent le droit de se marier s'ils sont stériles, ne comptent pas faire d'enfants ou sont trop âgés. En effet, il n'y a aucune raison que ces couples puissent bénéficier des avantages du mariage s'ils ne rendent pas le service de l'éducation des enfants à la société. Or pour l'insant, ces couples peuvent se marier et les opposants à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe ne semblent pas gênés par cet état de fait.

    Deuxièmement, il faut poser clairement la question des enfants élevés par des couples de même sexe (qui existent déjà de fait). Si dans le mariage n'intervient pas la question de l'amour, ou celle de la qualité des individus, mais uniquement le service rendu à la société de l'éducation des enfants, alors ces couples, puisqu'ils rendent service à la société, doivent pouvoir se marier.

    La question est effectivement anthropologique. Nous faisons face à des évolutions importantes dans le domaine de la parenté et de la famille. Nous devons donc répondre à la question de savoir si nous voulons prendre en charge ces évolutions, où si nous préférons fermer les yeux, prétendant que rien ne change jamais.

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  4. Réponse à l'anonyme du 26 novembre :

    Vos arguments sont légitimes, et je vous remercie pour votre commentaire.

    Concernant les couples stériles, permettez-moi de vous réponde de deux manières.
    Tout d'abord, une institution sociale, comme le mariage, est évidemment tournée vers la généralité - elle ne se fonde pas sur des cas particuliers. Or il serait politiquement impossible de distinguer les couples non stériles (ce serait une grave atteinte à l'intimité) des couples stériles, qui sont une large majorité. On comprend donc bien que la loi puisse parler de famille et d'enfants : elle évoque ici de la majorité des mariages, étant entendu qu'il existera toujours une minorité sans enfants. Essayez de faire des lois qui s'appliquent en totalité à tous les citoyens d'un Etat ; vous risquez d'éprouver des difficultés, et ce sera l'anarchie !
    Deuxièmement, parmi ces couples stériles, il est normal que l'adoption soit bien plus facile que pour les couples homosexuels. Qui osera affirmer que, toutes choses égales par ailleurs (comportement des parents, etc.) il n'est pas mieux pour un enfant d'avoir un père et une mère que deux pères ou deux mères ? Les couples stériles qui le souhaitent sont donc tout naturellement invités à choisir l'adoption, tandis qu'elle restera beaucoup plus difficile pour les couples homosexuels, dans le bien de l'enfant.

    Concernant les enfants éduqués par des parents de même sexe, vous noterez bien que le mariage n'est pas la reconnaissance d'une situation de fait (dans laquelle deux personnes élevant des enfants seraient de facto mariées), mais un choix ayant des avantages et soumettant à des contraintes. On ne se marie pas (du point de vue de la loi, encore une fois) parce que l'on a des enfants, mais pour faire des enfants avec son mari. Il est bien spécifié dans le Code civil que sont reconnus enfants du couple ceux nés pendant le mariage et jusqu'à neuf mois après un éventuel divorce. Dès lors, le problème que je relève dans mon article reste entier : un couple de même sexe élevant un ou plusieurs enfants ne risque pas d'en faire davantage une fois marié. En fait, le mariage est une instance de stabilisation de la société. Des parents homosexuels peuvent sûrement, dans certains cas (aucune statistique sur ce point : je ne connais pas assez de dits enfants), bien éduquer les enfants qu'ils ont à leur charge ; mais leur situation même n'est pas un modèle de stabilité - ils ont fait un enfant avec quelqu'un d'autre, puis sont devenus homosexuels, ou que sais-je. Cela est, qu'on le veuille ou non, un fait, suffisant à mon avis pour les exclure du champ d'un mariage visant à institutionnaliser des relations entre personnes stables. Si beaucoup d'homosexuels refusent le mariage, c'est aussi pour cette raison : ils pensent que l'homosexualité est synonyme de liberté, et ne peuvent tolérer un enfermement dans le "carcan" du mariage. Allez lire l'article de Libération que je cite dans mon article. Enfin, il faut reconnaître que les couples de même sexe élevant un enfant restent très minoritaires, et qu'encore une fois, on ne légifère pas sur des minorités - on légifère en vue du bien commun.

    Il ne s'agit pas de "fermer les yeux" : vous voyez bien que j'essaie de prendre les arguments des militants homosexuels, et d'y répondre avec mes faibles moyens. Il s'agit de réfléchir à la construction de la société la plus juste possible. Débattre sérieusement est le meilleur moyen d'y parvenir. Je déplore simplement que certains s'y refusent.

    Enfin, il y a bien sûr, en-deçà de la question juridique, un immense problème anthropologique (dont les conséquences sont juridiques). J'y reviendrai sûrement dans un futur article.

    Bien à vous,

    Christian d'Aussois

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  5. Réponse à "fautpaspousser" :

    Merci pour vos encouragements et votre commentaire, qui montrent que ce nouveau blogue n'est pas totalement inutile !

    Je suis tout à fait d'accord qu'une intense réflexion à la fois philosophique, juridique et sociologique est à mener sur l'éducation des enfants par un père et une mère. Toutefois, la notion de "droit naturel" me paraît déplacée. En effet, un enfant ne naît pas avant tout avec des droits : il naît totalement dépendant de ceux qui l'entourent (famille, médecins, etc.). Tout ce qui lui est donné est donc pour lui un avantage - seul, il n'est rien, il est seulement débiteur - et c'est le créancier qui a des droits ! Si la mère est morte et que le père est seul à s'occuper de l'enfant, comment s'imaginer que celui-ci puisse, une fois adulte, s'élever contre son père pour n'avoir pas trouvé de femme qui aurait pu faire office de nouvelle mère ?

    Il est plus rationnel, me semble-t-il, de raisonner en terme de devoirs qu'en terme de droits. Il y a un devoir, en effet, pour tout parent, de s'occuper de ses enfants, de les éduquer pour les amener le mieux possible à l'âge adulte. Ce devoir est une déclinaison de la notion de responsabilité, qui est la base de toute liberté.

    Bien cordialement,

    Christian d'Aussois

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  6. Je le dirai d'abord dans la langue de ma famille donc le catalan.
    " Espero que aquesta pallassada dels matrimonis de gais i lesbianes governi qui governi mai siguin oficialment reconeguts a França.
    Es una vergonya que el Regne d'Espanya els hagi reconeguts".
    J'espére que ce cirque des mariages de gays et lesbiennes quelque soit le gouvernement en place jamais soient officiellement reconnu en France.
    C'est une honte que le Royaume d'Espagne les aient reconnus.

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