C’est une grande « ouverture du cœur pour le
successeur de Pierre », selon les mots utilisés par l’abbé Guillaume
de Tanoüarn à la fin de la soirée, que revendiquait la conférence qu’ont tenue
le 19 mars le directeur du Centre culturel chrétien Saint-Paul et Olivier
Figueras, journaliste au quotidien catholique Présent : il s’agissait d’accueillir avec une bienveillance
résolue l’élection inattendue du pape François le 13 mars 2013.
Olivier Figueras s’est tout d’abord efforcé de
reconstituer le processus qui a pu permettre au cardinal Bergoglio d’emporter contre
toute attente les voix des cardinaux. Lors du pré-conclave et du conclave,
a-t-il noté, tous ont commis les mêmes erreurs : les observateurs ont en
effet tiré des conclusions erronées quant à ce que voulait le Sacré-Collège,
même si l’élection de Jorge Mario Bergoglio a constitué une surprise également
pour la hiérarchie.
Le déroulement du conclave
Le journaliste s’est attaché à montrer la spécificité du
conclave de 2013 : si les congrégations générales ont duré officiellement
environ deux semaines, les cardinaux ont en fait disposé d’environ un mois pour
se consulter, dès l’annonce de la renonciation de Benoît XVI le 11 février. Les
premières listes de cardinaux ont alors été constituées par des journalistes
plus ou moins compétents : si l’on comptait tous les papabili mentionnés par certaines listes peu crédibles, on obtenait
jusqu’à quarante-et-un noms. Aux yeux des vrais vaticanistes, le choix était
assez simple : le prochain pape serait ratzinguérien, qu’il soit de droite
ou de gauche. Les cardinaux nettement progressistes, en effet, étaient devenus
très peu nombreux. Le principal candidat ratzinguérien de gauche est tout d’abord
le cardinal Ravasi, auquel l’on préfère par la suite le cardinal Scherrer, qui
bénéficie d’une tendance favorable à l’Amérique Latine. A droite, les
principaux candidats sont le cardinal Scola, titulaire de Venise, puis de
Milan, c’est-à-dire d’archidiocèses prestigieux qui ont fourni plusieurs papes
à l’Eglise de l’époque contemporaine, et le cardinal Ouellet, qui depuis son
installation à la congrégation pour les évêques apparaît comme un écho constant
de Benoît XVI. Enfin, dans le rôle du « troisième homme », les
journalistes citaient deux Africains, ainsi que les cardinaux les plus à droite
du collège cardinalice, tels les cardinaux Burke ou Ranjith, dont l’élection
semblait peu probable, mais dont l’on affirmait les chances en cas de conclave
long.
Or, en réalité, le conclave s’est révélé très court :
cinq tours de scrutin, soit le conclave le plus rapide après celui qui a élu
Pie XII (3 tours) et celui qui a élu Benoît XVI (4 tours). Le nom de Bergoglio
est donc apparu très vite, d’autant plus que, d’après les fuites, il semble
avoir été élu très largement, avec 90 voix sur 115, alors qu’il lui suffisait d’en
obtenir 77.
Comment ce cardinal, perçu comme anti-ratzinguérien,
a-t-il pu être élu aussi rapidement alors que les ratzinguériens « purs et
durs » disposaient de la minorité de blocage d’un tiers ? Olivier
Figueras s’est efforcé de répondre à cette question en nuançant le caractère
anti-ratzinguérien du cardinal Bergoglio : si celui-ci a été le principal
rival du cardinal Ratzinger en 2005, le candidat de tous ceux qui ne voulaient
pas de l’élection de Benoît XVI, il n’aurait pas manifesté depuis d’opposition
stricte à ce dernier.
Même si, comme l’a rappelé le conférencier, les analyses
du conclave demeurent nécessairement approximatives, on peut supposer qu’aux troisième
et quatrième tours, les cardinaux Scola et Ouellet recueillaient un certain
nombre de voix, devançant nettement le cardinal Scherrer. La gauche cardinalice
aurait alors remis en valeur le cardinal Bergoglio, qui semble moins évidemment
anti-ratzinguérien qu’Odilo Scherrer ; les ratzinguériens auraient alors
accepté de se reporter partiellement sur son nom.
Une personnalité surprenante
Cette élection n’en est pas moins une surprise complète,
même si rétrospectivement, il apparaît que le cardinal Bergoglio disposait de
nombreux atouts. Si l’élection surprend, c’est aussi parce que le nouveau pape
semble difficile à classer : il s’agit d’un personnage quelque peu ambigu,
que gauche et droite se renvoient. Cette ambiguïté tient peut-être tout d’abord
à sa nationalité : Jorge Mario Bergoglio est issu du cadre de l’Amérique
du Sud, qui n’est pas le cadre européen et où les priorités ne sont pas
toujours les mêmes. Le cardinal Bergoglio a la réputation d’être un pasteur et
non un défenseur d’idées ; il semble surtout soucier de prêcher l’Evangile
à des gens simples.
Cette dimension pastorale le conduit à s’intéresser aux
questions morales. Sur l’avortement, l’euthanasie, le mariage homosexuel, le
Cardinal tient un discours beaucoup plus ferme et strict qu’aucun évêque
européen. Confronté à un projet de loi visant à instituer le mariage
homosexuel, il écrit en 2010 aux religieuses en le désignant comme un « rejet
frontal de la loi de Dieu », d’une « envie du démon qui prétend
malignement détruire l’image de Dieu ». Sa position, qui ne laissait
aucune place au doute, a conduit à une large mobilisation des catholiques
argentins, même si celle-ci n’a pas réussi à faire barrage au projet de loi.
Sur l’avortement, la position du cardinal Bergoglio semble encore plus
marquante : il le condamne même dans les cas que certains prélats seraient
tentés de regarder comme des exceptions. Il a en outre largement repris le
discours et le vocabulaire de Jean-Paul II sur la « culture de mort ».
« Le chrétien ne peut pas se permettre d’être une andouille »,
va-t-il jusqu’à déclarer dans un sermon. Le martyre est évoqué comme une
possibilité qui n’est pas à exclure.
La fermeté de ces positions en matière de morale explique
peut-être le doute qui a saisi la droite comme la gauche : du côté droit,
on peut faire au nouveau pape crédit d’être un défenseur ferme de la morale,
même si d’autres éléments peuvent susciter quelque perplexité.
Le pape de toutes les surprises
L’abbé Guillaume de Tanoüarn, quant à lui, a expliqué la
surprise causée par l’élection du pape François comme une conséquence de son
caractère d’ « électron libre » alors même qu’il est mis à la tête de
plus d’un milliard de catholiques. L’abbé de Tanoüarn a souligné l’importance
de l’appartenance du cardinal Bergoglio à la Compagnie de Jésus : le
vendredi 15 mars, dans un sermon peu commenté, le nouveau pape a cité devant
les cardinaux les règles fixées par saint Ignace pour le discernement des
esprits en leur disant de ne surtout pas changer aux jours de la désolation. Un
tel discours semble peu conforme à celui des progressistes, qui veulent changer
l’Eglise précisément parce qu’elle est en désolation, c’est pourquoi il
changent mal.
Le nouveau pape est donc, selon l’expression de l’abbé de
Tanoüarn, « un jésuite un peu anticlérical ». De fait, comme l’a noté
l’abbé Bouchacourt (FSSPX), le diocèse de Buenos Aires a peu de séminaristes. L’archevêque
Bergoglio semblait davantage du côté des laïcs que de ses prêtres. Lorsqu’il
dénonce, dans le sermon de sa première messe à la chapelle Sixtine, le
christianisme sans croix, le nouveau pape va ainsi jusqu’à déclarer que, sans
la croix, « nous sommes des prêtres, des évêques, des cardinaux, des
papes, mais pas des disciples du Seigneur ». A propos du baptême, le
cardinal Bergoglio dénonçait dans 30
Giorni le gnosticisme pharisaïque des prêtres qui se croient propriétaires
des sacrements, dont il invitait à retrouver le sens. Le pape François semble
donc bel et bien « le pape de toutes les surprises ».
« Le premier pape péroniste »
« Le premier pape péroniste » : l’expression,
a noté l’abbé de Tanoüarn, a été utilisée par la presse argentine. Avant d’être
prêtre, Bergoglio a eu un authentique engagement péroniste : il s’engage
dans la Garde de fer, fondue par la suite dans l’Organisation unifiée du
transfert générationnel. Comme l’a montré le conférencier, le futur pape s’est
montré constant dans cet engagement : en 1974, à la mort de Perón, le P.
Bergoglio, provincial des jésuites à trente-six ans, accueille à l’université d’El
Salvador d’anciens militants péronistes.
Si Perón semble aujourd’hui difficilement lisible, l’idée
de nation occupait dans sa pensée une place centrale. Tandis que Benoît XVI,
pape allemand, ne pouvait accorder une telle place à l’idée nationale, le pape
François apparaît comme un pape patriote, qui croit sans doute au modèle
national, comme l’attestent deux livres au titre éloquent : Prendre la patrie sur les épaules (2004)
et La nation pour construire (2005).
Un pape contre une Eglise autoréférentielle
Dans sa prédication, le pape insiste sur la « mondanité
du démon ». Il avait écrit en 2007 dans 30 Giorni un article sur la mondanité spirituelle, fait de ceux qui
se prennent pour le centre : les prêtres, qui ne sont que des instruments,
ne doivent pas se regarder eux-mêmes comme le centre : le nouveau pape s’en
prend à un discours où l’Eglise est à elle-même sa propre référence. Cette
rhétorique, a noté l’abbé de Tanoüarn, peut conduire à des catastrophes, mais
aussi, pour reprendre les termes du conférencier à une purification d’un certain
cléricalisme plus que jamais hors de saison.
La liturgie du pape François
Olivier Figueras a conclu la conférence en abordant la question
liturgique. Les prélats d’Amérique du Sud, a-t-il rappelé, ne sont pas
réputés en tant que spécialistes de la liturgie : les cérémonies semblent
très quelconques, ce qui peut susciter quelque inquiétude quant à ce que
représente la liturgie, qui est précisément le trésor des pauvres. Lors de sa
messe d’intronisation, le pape François a cependant opté pour le choix de la
première prière eucharistique, proche du Canon romain, et a évité fantaisies et
écarts scandaleux ; il est difficile de savoir si ces choix sont le fait
du cérémoniaire pontifical, Mgr Marini, ou du pape lui-même. Il semblerait, d’après
l’un des cérémoniaires, que le conférencier n’a cependant pas nommé, que le
pape François aurait avoué n’avoir que peu de connaissances en matière
liturgique, mais qu’il était désireux d’apprendre.
De nombreuses questions
La conférence a été suivie d’une discussion fournie, qui
a permis de préciser et de nuancer certains points abordés au cours de la soirée.
L’abbé de Tanoüarn de caractériser le cardinal Bergoglio comme un net
adversaire de la théologie de la libération. La question traditionaliste a
également pu être directement abordée. Olivier Figueras a noté que l’on ne peut
pour l’instant donner une vraie réponse à cette question, mais seulement
fournir quelques éléments : la Maison générale de la FSSPX, dans le
communiqué qui a suivi l’élection du nouveau pape, n’a pas exprimé d’appréhension
particulière ; le pape François semble s’intéresser davantage aux
personnes qu’aux idées et n’a pas encore parlé du Concile. Selon l’abbé de
Tanoüarn, sous ce pontificat, les traditionalistes devront donner la preuve qu’ils
œuvrent pour l’évangélisation.
La discussion a également donné l’occasion à Guillaume de
Tanoüarn de tenter une classification possible du nouveau pape : il s’agirait
d’un « wojtylien de gauche », qui n’a aucun intérêt pour la liturgie
et dont on peut craindre qu’il ne cultive un double discours : un discours
fort en interne à l’intention de la communauté chrétienne afin qu’elle soit
fervente, et un discours de dialogue en externe, dans une dissociation
systématisée que l’on pourrait retrouver chez le cardinal Bergoglio.
Enfin, Olivier Figueras a conclu la conférence en rappelant
que l’aspect médiatique de l’élection prédomine encore, et qu’il faut attendre
les actes qui vont être posés, notamment le choix du prochain secrétaire d’Etat.
Louis-Marie Lamotte
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