lundi 21 mai 2012

De curieuses informations dans les « Matinales chrétiennes » de l’hebdomadaire La Vie

Il semble décidément que dans certains milieux les traditionalistes, tout spécialement ceux de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, déchaînent les passions, ou du moins suscitent une certaine fascination. Les « Matinales chrétiennes » régulièrement publiées sur le site de l’hebdomadaire « chrétien et humaniste » La Vie en sont un bon exemple, tant il est rare qu’elles demeurent longtemps sans évoquer l’actualité des relations entre Rome et la FSSPX.
Le 18 mai dernier, Natalia Trouiller, responsable de la « Matinale chrétienne », évoquait ainsi le « déchaînement » des « ultras » de la FSSPX face à la perspective d’un accord et entendait faire un « état des lieux » de l’ambiance de « surchauffe » chez les « lefebvristes[1] ». Il s’agit donc de relever les divisions qui se sont fait parmi les prêtres et parmi les fidèles de la Fraternité au cours des dernières semaines.

Une solitude très relative
Dès les premières lignes, le ton est donné : « Il apparaît bien seul, Mgr Fellay », nous dit la journaliste, pour qui l’évêque n’est que « théoriquement » le chef de la FSSPX. Natalia Trouiller le présente donc tout d’abord comme un supérieur totalement isolé, confronté à une situation dont il ne maîtrise rien, à des « forces qui luttent contre l’accord qu’il veut obtenir avec Rome » et montrent surtout sa propre faiblesse. Le problème est qu’elle n’hésite pas à se contredire ou du moins à se corriger quelques lignes plus bas : la solitude se transforme en effet en « ligne de fracture chez les clercs de la FSSPX ».
Que nous dit en effet la journaliste ?
Mgr Fellay a avec lui les supérieurs des districts d'Allemagne, de Belgique et du Luxembourg. Les trois autres [évêques], les districts de France, d'Italie, d'Amérique du Sud, des Etats-Unis, d'Angleterre.
Le lecteur de la « Matinale chrétienne » en conclura rapidement que la FSSPX est le champ où se livre une bataille rangée caractérisée par un évident déséquilibre des forces en présence : s’il a quelque connaissance de la situation de la FSSPX, il sait par exemple que les districts de France et des Etats-Unis comptent numériquement parmi les plus importants au sein de la Fraternité. Or Mgr Fellay aurait contre lui ces deux districts, en n’ayant avec lui que le district d’Allemagne, certes d’un certain poids, et celui de Belgique et du Luxembourg. L’affaire est donc entendue : le supérieur général est largement désavoué par ses troupes les plus nombreuses, entrées ouvertement en rébellion contre son autorité ; la grande masse du clergé et des fidèles de la Fraternité court au schisme, au sédévacantisme, à la séparation définitive avec l’Eglise catholique, apostolique et romaine.

Une interprétation forcée des textes
Cependant, il est légitime de se demander sur quoi se base l’ « état des lieux » d’une telle « ligne de fracture ». Natalia Trouiller cite deux textes, l’un publié par l’abbé Petrucci, supérieur du district d’Italie, et l’autre par l’abbé de Cacqueray, supérieur du district de France. Le premier commente le communiqué de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 16 mai et est jugé « alarmiste » par la journaliste :
Cette approche [du Vatican] exprime clairement l'intention de diviser notre Fraternité Sacerdotale dans ses meilleurs représentants. Pour cette raison, nous invitons tous nos amis et fidèles à intensifier leurs prières, et en particulier le Saint Rosaire, dans la croisade lancée par notre supérieur, pour que la FSSPX reste unie dans la lutte contre les erreurs entrées dans l'Eglise.
Si Natalia Trouiller note non sans raison la défiance que montre l’abbé Petrucci vis-à-vis de Rome et peut légitimement en déduire un certain retrait par rapport à la position exprimée par Mgr Fellay, un examen attentif et objectif de la lettre du texte aurait dû la conduire à relever que l’évêque suisse est logiquement inclus parmi les « meilleurs représentants » de la Fraternité et que le prêtre italien invite ses amis et fidèles à se joindre à la croisade du rosaire lancée par le même évêque : ce qui n’est donc pas en tant que tel un rejet de l’autorité de Mgr Fellay, mais un appel à l’unité de la FSSPX, et non à la révolte contre le supérieur général. La journaliste s’appuie donc sur un texte qui ne montre aucunement ce qu’elle avance.
La même distance entre la lettre objective des textes et l’interprétation qu’en donne Natalia Trouiller caractérise son usage du message publié sur La Porte Latine par l’abbé Régis de Cacqueray : la phrase qu’elle cite est un appel à la prière pour le supérieur général et ses assistants[2] et ne peut être désignée en tant que telle comme la preuve d’une rébellion du district de France contre Mgr Fellay ; les « circonstances difficiles » n’indiquent pas en soi le rejet de tout accord avec Rome, mais renvoient beaucoup plus probablement au malaise suscité par la publication sur la toile de l’échange épistolaire entre les évêques de la Fraternité.

Le district des Etats-Unis contre Mgr Fellay ?
Ces deux textes cités ont au moins le mérite d’exister, même si l’interprétation qui en est faite est au moins discutable. Mais, se dira le lecteur scrupuleux, qu’en est-il du puissant district américain, dont on nous dit qu’il a rejoint la révolte contre Mgr Fellay et ses assistants ? S’agit-il d’une supposition faite par la journaliste qui, en l’absence de tout texte officiel, s’appuie sur des rumeurs ou des confidences ? Non : car il existe un texte. Il en existe même deux. Que dit le premier ? Que
c’est à notre Supérieur général, et à lui seul, qu’a été confiée selon les règles de l’Église et le vœu de Mgr Lefebvre la tâche délicate de gérer nos relations avec Rome. Aussi, est-il l’unique autorité compétente pour prendre les décisions prudentes pour notre Fraternité[3].
Désaveu violent, on le voit, de la position de Mgr Fellay. On peut même noter que l’abbé Rostand, supérieur du district des Etats-Unis, soutenu de surcroît par l’abbé Couture, supérieur du district d’Asie[4], poussait lui aussi l’opposition à Mgr Fellay jusqu’à demander aux fidèles américains de prier pour lui.
Et que dit le second, qui a pourtant fait le tour de la toile catholique française ?
Nous réaffirmons notre foi dans la Rome éternelle, avec le pape Benoît XVI comme vicaire de Jésus-Christ et chef visible de son Église, tout en reconnaissant la situation dramatique de l’Église aujourd’hui[5].
La journaliste conviendra sans doute que de telles déclarations ne vont pas vraiment dans le sens d’une opposition à Mgr Fellay et d’un refus catégorique de tout accord avec Rome.
Dès lors, il est tout de même permis de se demander pourquoi la « Matinale chrétienne » affirme péremptoirement des vues qui manquent de fondements sérieux, quand elles ne sont pas directement contredites par les faits, par des textes qu’il est pourtant loisible de consulter gratuitement sur la toile. On voit à quoi conduit tant de légèreté dans le traitement de l'information : à transformer en fracture définitive et irréductible ne qui n'est, pour l'instant en tous cas, qu'une situation de tensions et non pas de rébellion ouverte et généralisée.
Serait-ce donc trop demander aux journalistes catholiques que d’attendre d’eux qu’ils lisent attentivement les documents qui devraient se trouver à la base de leur analyse avant d’exprimer sur ce sujet grave et auquel on sait que le Souverain Pontife accorde beaucoup d’importance des jugements dont le ton ne semble souffrir aucune contestation[6] ?

Louis-Marie Lamotte 



[2] « Implorons le Ciel pour notre Supérieur Général, pour ses Assistants, pour nos évêques afin que leur soit accordé les grâces de lumière et de force dont ils ont besoin pour demeurer fermes dans le bon combat de la Foi, en ces circonstances si difficiles. »
[6] Il y a quelques mois déjà que la « Matinale chrétienne », avouant ses sources sédévacantistes, annonce un « putsch » imminent au sommet de la FSSPX ; putsch qui jusqu’ici ne s’est jamais produit, ce dont on ne se plaindra pas.

1 commentaire:

  1. Merci beaucoup pour cette analyse très objective et pertinente! C'est dommage qu'il y en ait si peu dans les médias, lesquels font trop souvent plus dans la désinformation que dans l'information...

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