jeudi 19 avril 2012

Une opinion sur la réconciliation des catholiques (1)

Il y a quelques jours à peine, nous parlions ici même de ce que nous appelions la « tentation intellectuelle » de certains catholiques, que nous caractérisions par la priorité accordée à ce qui est intellectuellement intéressant à ce qui est doctrinalement vrai. Il semble que cette définition est incomplète : il lui manque un second trait, savoir : la tendance, pour ne pas paraître terre à terre, à s’affranchir de la lettre des textes et de toute référence précise pour se lancer à corps perdu dans de grandes idées souvent aussi vagues que générales, supposées géniales et par suite seules conformes au génie du christianisme.
Un exemple pour le moins pénible vient d’en être donné, dans les colonnes de Le Rouge et le Noir, par l’auteur distingué qui signe Bougainville. Ce n’est pas par gaieté de cœur, ni par zèle amer, que nous mentionnons cet exemple regrettable, qui vient d’un site talentueux dont les combats sont, dans leurs grandes lignes, les nôtres, mais en tant qu’il nous semble représentatif de certains travers dont les catholiques devraient se garder, et parce qu’il nous semble que certaines affirmations dont c’est peu dire qu’elles nous semblent hasardeuses méritent au moins qu’on vienne leur porter contradiction.

Un article sur les relations entre Rome et la FSSPX

Messe célébrée par un prêtre de la FSSPX à Neustadt (Allemagne)

L’article en cause s’intitule « Espoir et humilité » ; il a été publié le 18 avril dernier, et, après avoir quelques instants disparus de la toile, y est réapparu le 19 avril[1]. Ce texte a donc été publié alors qu’il n’était question, dans la blogosphère catholique, que de la remise à la commission Ecclesia Dei par Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale saint Pie X, de la réponse doctrinale qu’exigeait de lui ladite commission il y a de cela un mois. Les rumeurs s’étant accordées à déclarer positive la réponse formulée par Mgr Fellay, c’est de la perspective de la vraisemblable régularisation canonique de la FSSPX que traite Bougainville dans son article.
Ce sujet, qui nous paraît de la première importance, n’a jusqu’ici jamais été abordé sur Contre-Débat, et cela pour plusieurs raisons : tout d’abord parce que nous n’avons, pour le traiter, aucune compétence particulière, et ne voyions donc pas ce que nous pourrions ajouter aux bruits et aux débats pour le moins répétitifs que l’on peut trouver sans peine ; ensuite parce qu’il ne nous semblait pas opportun de prendre parti pour les uns ou pour les autres, auxquels nous sommes attachés à des titres divers, en des affaires si graves, dans l’attente que notre mère l’Eglise romaine ait donné aux problèmes soulevés une réponse claire et définitive. Mais puisque Bougainville hasarde un article qui se veut, semble-t-il, une présentation synthétique et des enjeux de la pleine réconciliation de la FSSPX avec Rome, il nous a semblé loisible d’examiner son propos et d’en dégager les points pour ainsi dire contestables.

Ce qui a été dit
Voici maintenant ce qui a été dit. L’article s’ouvre sur deux paragraphes introductifs que l’on peut certainement dire bienveillants :
Nous attendons tous d’avoir une idée de l’accord conclu entre le Saint-Siège et la FSSPX. A la grâce de Dieu, l’étiquette « intégriste » n’aura bientôt plus cours, sauf pour les quelques sectes qui s’enferreront dans leur folie sédévacantiste.
Si la nouvelle, annoncée hier soir par les spécialistes de cette étrange profession italienne que sont les « vaticanistes », de la signature par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X du préambule doctrinal proposé par Rome se confirme, il faudra que le Peuple de Dieu laisse éclater sa joie et remercie le Ciel pour la patience et la bonté du pape Benoît XVI, mais aussi la confiance de Mgr Bernard Fellay[2].
Il n’y a jusqu’ici pas grand motif de critique, même si l’on peut trouver – à tort peut-être, qui sait – optimiste à l’excès la prédiction jubilante selon laquelle l’étiquette d’intégriste n’aurait « bientôt plus cours » – comme si les adversaires les plus acharnés de tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à du traditionalisme, se souciaient de l’irrégularité canonique de la FSSPX autrement que comme d’un prétexte : prétexte auquel on saura bien substituer un autre prétexte, si ce n’est déjà fait, comme peuvent en témoigner les difficultés que connaissent les instituts Ecclesia Dei à développer leur apostolat dans certains diocèses. On verra, du reste, que l’auteur de notre article revient lui-même plus loin sur cette joyeuse affirmation.
En effet, il ne tarde pas à nous faire part de ses inquiétudes, ou plutôt de ses interrogations :
Mais mon amour de l’Eglise et ma joie de voir l’Unité en passe d’être retrouvée ne m’empêchent pas de relever quelques points que j’aimerais ardemment voir éclaircis au plus vite.
Cette joie, Bougainville, qui adhère au « grand dessein du Saint-Père » avec une « confiance et une humilité filiale » tient cependant à l’affirmer hautement ; et, nous assure-t-il, ce ne sont pas les questions liturgiques qui viennent l’obscurcir :
Contrairement à beaucoup, je ne m’offusquerai certainement pas d’une plus large diffusion de la Messe de Saint Pie V, engagée par le Saint-Père, et qui est un véritable trésor pour l’Eglise.

Une opinion sur l’enrichissement mutuel des deux formes du rite romain
Fort bien. Mais c’est ensuite que le discours devient pour le moins discutable :
Je considère les deux formes du rite romain comme étant complémentaires et nécessaires, tout comme je suis « pour », du haut de mon humble avis de laïc, que l’on introduise dans la « messe de toujours » certaines modifications prévues par le Concile, comme la communion au Corps et au Sang du Christ
On s’est beaucoup demandé, dans le milieu catholique traditionnel, quels pouvaient bien être les « enrichissements » que le rite de Paul VI pouvait apporter au rite de saint Pie V, que l’abbé Claude Barthe désignait comme la « forme riche » du rite romain[3]. Il semble que Bougainville nous donne la réponse : l’enrichissement que la nouvelle messe peut apporter à l’ancienne, c’est tout d’abord la communion sous les deux espèces. Loin de nous l’intention de condamner comme étant contraire à la foi catholique la communion des fidèles au calice, pratiquée par tant de catholiques d’Orient ou même par tant de catholiques latins depuis la réforme liturgique. Mais il faut reconnaître qu’une telle pratique a été longtemps étrangère au christianisme latin, jusqu’au mouvement hussite et à la Réforme protestante, qui a généralisé la communion sous les deux espèces ; et qu’il ne semble pas que son introduction en Occident avec l’accord des Pontifes romains ait produit les fruits escomptés : bien au contraire, elle semble avoir donné lieu de manière privilégiée, si l’on peut dire, à une multitude d’abus et d’irrévérences envers le Précieux Sang de Notre-Seigneur[4].


Distribution de la communion : pourquoi ajouter la confusion à la confusion ? Dans le rite traditionnel, tout semblait pourtant fort clair.

Bougainville objectera peut-être que Notre-Seigneur a déclaré que qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang n’a pas la vie éternelle (Jn VI, 53). Ce qui serait déclarer que les laïcs catholiques d’avant la réforme liturgique ont été massivement voués à la damnation par la sainte Eglise ; ce qui serait oublier surtout que l’Eglise tient avec la plus grande certitude que le Christ est tout entier présent, c’est-à-dire avec sa chair et son sang, son corps et son âme, son humanité et sa divinité, dans la moindre parcelle de chacune des espèces eucharistiques[5].
Dès lors qu’on ne communie pas moins au Précieux Sang de notre Rédempteur en ne le recevant que sous les espèces du pain, l’on peine à comprendre la raison de cette curieuse revendication sacramentelle ; l’on peine surtout à comprendre le motif d’une revendication qui, venant troubler les rites de communion jusque-là fort clairs et surtout fort ordonnés en usage dans la messe traditionnelle, ne ferait qu’ajouter la confusion à la confusion. Faut-il donc croire qu’il n’y ait pas, dans nos liturgies paroissiales, de réforme plus urgente à engager ?

Louis-Marie Lamotte 

(A suivre) 


[2] Afin que l’on ne nous accuse pas de déformer le propos que nous critiquons, nous nous efforcerons, dans cet article, de le citer aussi longuement que l’autorise la commodité de la lecture.
[3] Abbé Claude BARTHE, La messe à l’endroit, Hora Decima, 2010
[4] Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter la liste des prescriptions formulées par l’exhortation Redemptionis Sacramentum (2004) au sujet de la communion au saint calice (§§ 100-107) : http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20040423_redemptionis-sacramentum_fr.html#Chapitre IV   
[5] C’est ce qu’affirme notamment un Canon du Concile de Trente : « Si quelqu’un nie, que dans le vénérable Sacrement de l'Eucharistie, Jésus-Christ tout entier soit contenu sous chaque espèce, et sous chacune des parties de chaque espèce, après la séparation : Qu'il soit anathème. »
http://lesbonstextes.ifastnet.com/trentetreiziemesession.htm#canons
Qu'il soit clair cependant que je ne veux pas faire à Bougainville de procès d'intention : je ne réponds à cette objection que parce qu'elle est très souvent formulée ici ou là.


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