samedi 26 novembre 2011

A propos de l’appel de Rouen

Le 25 novembre, Paris Normandie publiait, sous le titre « Les laïcs catholiques secouent l’Eglise », un article[1] qui se faisait l’écho de l’affaire qui agite le diocèse de Rouen depuis que des prêtres y ont décidé d’appuyer l’ « appel à la désobéissance » lancé par une partie non négligeable du clergé catholique autrichien. De quoi s’agit-il au juste ?

Que se passe t-il dans le diocèse de Rouen ? Un vent de révolte, une soif de rénovation ? Il y a quelques semaines, dix-sept prêtres signaient un «Appel à la désobéissance». Et ces jours-ci, quelques laïcs catholiques se sont engouffrés dans la brèche et publient une Lettre ouverte aux chrétiens. Un texte paraphé par plus de 170 personnes, pour la plupart des membres actifs de mouvements d'Action catholique, d'animation du centre théologique universitaire, de membres de la Fraternité franciscaine...



« Un vent de révolte, une soif de rénovation ? » Benoît Vochelet, auteur de l’article, semble balancer. A moins que ces deux expressions ne s’identifient tout à fait à ses yeux : car pourquoi des « membres actifs de mouvements d’Action catholique, d’animation du centre théologique universitaire », comment des « membres de la Fraternité franciscaine », forces vives du diocèse assurément, se révolteraient-ils, sinon pour « soif de rénovation » de l’Eglise ? La cause est entendue, et Benoît Vochelet les désigne bientôt comme des « laïcs rénovateurs ». Il ne reste donc qu’à savoir en quoi consiste la rénovation escomptée. Si l’article de Paris Normandie livre à ses lecteurs quelques grandes orientations, il convient certainement d’examiner dans on intégralité la Lettre ouverte[2] mentionnée par le journaliste.

Des questions qui « méritent d’être débattues »
La Lettre s’ouvre sur une brève présentation, celle d’un « groupe de laïcs catholiques du diocèse de Rouen » qui ont retrouvé dans l’appel des prêtres rouennais « des questions qui méritent d’être débattues plus largement, et qui concernent notre Eglise ». On le voit, l’affaire est grave : car comment des questions qui « méritent d’être débattues » tout en concernant l’Eglise du Christ n’engageraient-elles pas en quelque façon notre salut éternel ?

« Prendre au sérieux l’enseignement du Concile »
Ce ton solennel est aussitôt confirmé par l’exposé de la première question : il s’agit de « prendre au sérieux l’enseignement du Concile sur la vocation universelle des baptisés ». En quoi consiste donc l’enseignement conciliaire sur un point aussi capital, puisqu’il touche à ce que Dieu attend de chacun de ses enfants, selon la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Les cheveux de votre tête sont tous comptés (Lc XII, 7) ? Fort malheureusement, le lecteur n’en saura rien, car en fait d’enseignement du Concile, il ne trouvera guère qu’une citation du Synode diocésain de Rouen (IV, 15), qui souhaite la « reconnaissance de ministères confiés à des fidèles laïcs pour répondre à la situation actuelle de l’Eglise diocésaine ». Mais les rédacteurs de la Lettre s’empressent d’ajouter :
Il convient d’aller beaucoup plus loin et plus vite par rapport à ce qui est proposé.
Il ne suffit donc pas d’identifier sans autre forme de procès l’enseignement d’un Concile et une phrase fort vague d’un Synode diocésain ; il faut « aller beaucoup plus loin et plus vite », c’est-à-dire en imposer une interprétation radicale. Il a été beaucoup question de l’esprit du Concile : il faudra désormais parler de l’esprit du Synode. Les rédacteurs de la Lettre ont la bonté de préciser plus avant leur pensée, et d’expliciter à leurs lecteurs ce que recouvre cet esprit du Synode : il faut que
prêtres et laïcs soient collectivement responsables des communautés chrétiennes. Celles-ci doivent en effet pouvoir partager partout et toujours la Parole, le Pain et le Vin.
On saisit mieux tout à coup ce que signifie la « vocation universelle des baptisés » invoquée plus haut. Il ne s’agit plus de la vocation à la sainteté lancée par Dieu à tout baptisé et à tous les baptisés, mais d’une responsabilité collective exercée au sein des « communautés chrétiennes ». Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas seulement de servir et d’aimer ses frères chrétiens comme l’Evangile nous y appelle impérieusement, chacun selon son état, prêtre ou laïc. La mention du Pain et du Vin, dont on ne sait plus trop s’ils sont ou non changés par la consécration en Corps et en Sang du Christ, rend clair que cette responsabilité collective est un sacerdoce collectif. Les « laïcs catholiques du diocèse de Rouen » revendiquent donc en fait le sacerdoce universel protestant.  

Un droit très singulier
Quelle grave raison invoquent-ils pour justifier une si singulière demande ?
On imagine par exemple une communauté urbaine ou rurale, privée d’eucharistie et de partage d’évangile, qui pourrait se réunir, proposer le nom d’une ou deux personnes, hommes ou femmes d’expérience, mariés ou célibataires, pour un ministère au service de la communauté et ce serait à l’évêque de valider cette proposition.
La grave raison, c’est donc la privation d’ « eucharistie et de partage d’évangile[3] ». Les communautés doivent « pouvoir partager partout et toujours la Parole, le Pain et le Vin », à l’évêque de « valider » ce « pouvoir ». Il ne s’agit pas ici de nier la souffrance, bien réelle, de chrétiens privés du saint sacrifice de la messe, éloignés sans faute de leur part de la sainte table, de la communion au sacrement de l’autel et des grâces qu’il procure, parce que les prêtres font défaut et que les paroisses se meurent. Mais il faut relever que les auteurs de la Lettre, qu’ils en soient conscients ou non, transforment cette détresse légitime en un curieux droit à l’Eucharistie : les communautés « doivent pouvoir[4] partager partout et toujours la Parole, le Pain et le Vin ».
Ce droit ne doit pas être entendu au sens traditionnel. Quelque « devoir » que le texte invoque, il ne s’agit pas simplement d’exprimer ce qui est juste, c’est-à-dire de permettre à tous les fidèles d’assister à la messe lorsque cela est possible, et de communier sacramentellement lorsqu’ils sont dans les dispositions requises. La revendication est bien celle d’un pouvoir que les « laïcs catholiques » peuvent faire valoir, sans autre motif que leur détresse et leur volonté d’être « collectivement responsables ». Le droit exprimé par les rédacteurs de la Lettre n’est donc rien d’autre que ce qu’ils se croient en mesure de revendiquer, non pas en vertu de la justice et de la vérité, mais seulement du rapport de force, de la situation particulière où se trouvent le diocèse de Rouen et ses « communautés ».
Les communautés doivent pouvoir célébrer l’Eucharistie. Il semble que l’absurdité d’une telle formulation n’est pas apparue aux rédacteurs du manifeste. A-t-on jamais vu des catholiques revendiquer dans une Lettre ouverte le droit d’accomplir des miracles ? C’est pourtant bien de cela qu’il est question, puisqu’il s’agit de « partager la Parole, le Pain et le Vin », ce qui signifie peut-être, dans le langage des « laïcs catholiques du diocèse de Rouen », opérer la transsubstantiation du pain et du vin en agissant dans la personne du Christ. C'est-à-dire le droit d’accomplir des miracles. Quant au droit des fidèles de n’être pas trompés, à leur droit à assister à des messes valides, rendant sacramentellement présent sur l’autel le sacrifice du Christ au Calvaire, droit qui est quant à lui incontestable en tant qu’il n’est pas permis de mentir aux brebis du Seigneur, il semble qu’il ne tourmente guère les rédacteurs.

Un droit des chrétiens au sacrilège
Il est vrai que leur conception de l’Eucharistie en général paraît aussi étrange que celle du sacerdoce ministériel :
Nous souhaitons que l’Eglise cesse de refuser l’eucharistie aux fidèles divorcés remariés au nom d’une discipline qui fait souffrir inutilement.
Ici c’est l’avertissement très clair de saint Paul[5] dans la première épître aux Corinthiens (XI, 27-29) qui est passé sous silence : ce que revendique la Lettre, c’est le droit de ne pas communier dans les dispositions requises, le droit de communier en état de péché mortel, le droit de profaner le Corps du Seigneur en le recevant indignement, et en définitive de se damner avec l’aide de l’Eglise – ce qui est assez curieux quand on sait qu’elle a été instituée en vue du salut des pécheurs. Ce que les « laïcs catholiques du diocèse de Rouen » réclament pour les divorcés remariés, c’est le droit au sacrilège – à moins qu’ils ne regardent plus le divorce suivi d’un remariage comme un péché grave et objectif ; mais alors ils se heurtent non plus à saint Paul, mais à la parole de Jésus-Christ : Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni (Mt XIX, 6).
Cruelle alternative ! Voici que les chrétiens se trouvent mis en demeure de choisir entre oublier l’enseignement de saint Paul sur l’Eucharistie et se défaire de la parole du Christ sur l’indissolubilité du mariage. Il est vrai cependant que l’on peut s’en sortir en dédaignant les deux.

L’Eglise diocésaine et son Evangile
C’est par un appel au dialogue que se termine ce singulier document.
Il est vital d’établir un vrai dialogue entre prêtres et laïcs, entre chrétiens de tendances différentes, voire opposées, car il est urgent de faire entendre à nos contemporains une parole plus soucieuse de promouvoir une Bonne Nouvelle que d’édicter des règles de morale, dont beaucoup sont incompréhensibles et le plus souvent inappliquées.
On est tout d’abord un peu surpris de voir l’Evangile du Christ désigné simplement comme « une Bonne Nouvelle », avec un article indéfini, comme s’il s’agissait d’une chose somme toute banale. Mais il ne faut pas s’en étonner. On peut remarquer en effet qu’à aucun moment, les rédacteurs de la Lettre ne réfèrent leur « Bonne Nouvelle » à Jésus-Christ, à son Incarnation, à sa Passion, à sa Résurrection, au salut qu’il apporte à l’humanité. La « Bonne Nouvelle » des laïcs de Rouen, ce n’est rien d’autre qu’un « vrai dialogue entre prêtres et laïcs, entre chrétiens de tendances différentes[6] », puisqu’il s’agit là de la seule « parole » que la Lettre propose à « nos contemporains » – c’est la vie simplement humaine des « communautés chrétiennes ».
De fait, l’on est frappé, à la lecture de la Lettre, de constater qu’il n’est jamais fait référence, même allusivement, à la sainte Ecriture. Le lecteur ne trouvera dans le manifeste aucune autre citation que celle du Synode diocésain, et celle de « Gérard Bessière, prêtre », dont on sait qu’il avait fièrement excommunié le Pape. Même Dieu et le Christ sont entièrement absents d’un discours qui n’a plus pour références que des problèmes ecclésiaux définitivement détachés de toute considération surnaturelle.
Les « laïcs du diocèse de Rouen » annonçaient des « questions qui concernent la vie de notre Eglise ». Ils ne se trompaient qu’à moitié. Les questions soulevées, ou plutôt les étranges réponses qui leur sont données, indiquent en effet clairement qu’elles ne concernent guère que leur Eglise, ou plutôt, leurs « communautés chrétiennes », car il est assez probable que leur Eglise, bien appropriée par nos laïcs au moyen du pronom possessif, ne soit plus l’Eglise catholique, apostolique et romaine, instituée par Jésus-Christ pour être l’Arche du Salut, mais bien plutôt cette curieuse « Eglise diocésaine » dont parlait le Synode de Rouen, qui prêchera non plus la mort et la Résurrection du Sauveur, mais s’annoncera elle-même, avec sa « vie » propre, ses structures, ses laïcs en responsabilité, ses synodes et son dialogue.
Oui, nous sommes de ceux qui souhaitent une Eglise à l’écoute des besoins et des attentes des hommes et des femmes d’aujourd’hui, une Eglise solidaire des pauvres et des exclus.
Nul doute que, parmi les hommes et les femmes d’aujourd’hui, parmi les pauvres et les exclus, on sera heureux d’apprendre cette « Bonne Nouvelle » : on dialogue chez les « laïcs catholiques du diocèse de Rouen ».

Louis-Marie Lamotte


[1] http://www.paris-normandie.fr/article/societe/rouen-les-laics-catholiques-secouent-leglise
[2] Ce manifeste est disponible en ligne : http://www.paris-normandie.fr/media/les-plus/Lettre%20ouverte%20aux%20chr%C3%A9tiens.pdf
[3] On notera la privation de majuscules dont sont victimes quant à eux l’Eucharistie et l’Evangile.
[4] C’est nous qui soulignons.
[5] « Celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit indignement, sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit son propre jugement. »

[6] On se demande par ailleurs quelle place les rédacteurs entendent laisser aux chrétiens d’une tendance « opposée » à la leur et qui aurait le mauvais goût d’édicter des "règles de morale".


1 commentaire:

  1. Cher Louis-Marie Lamotte Je vous invite à venir commenter mon article sur le site de Paris-Normandie -de manière plus synthétique, peut-être- pour faire avancer le débat.
    Benoit Vochelet/ Paris-Normandie

    RépondreSupprimer

Contre-débat est un espace de réflexion et de discussion. Tout le monde peut donc commenter les articles présentés, et ce, même de façon anonyme. Pour assurer la bonne tenue des discussions, les commentaires sont soumis à modération.

Ainsi, il est demandé à nos aimables lecteurs-commentateurs de veiller à l'orthographe de la langue française, ainsi qu'au respect de leurs interlocuteurs.