mardi 3 juillet 2012

Les catholiques de gauche (2) : D’hier à aujourd’hui

Georges Hourdin, grande figure de la presse catholique de gauche.

Dans mon article précédent, je me suis efforcé de rappeler que la « gauche catholique », sous le pontificat de Pie XI, s’engage largement dans la construction de la « nouvelle chrétienté », même si l’on peut noter l’équivoque que couvre un tel vocabulaire. On objectera peut-être que les catholiques de gauche ont oublié ou renié ces racines, tels Jean-Marie Paupert rangeant au lendemain du Concile Jacques Maritain au nombre des « vieillards de chrétienté » ; qu’il n’y a en un mot rien de commun entre, justement, un Jacques Maritain, qui en 1968 collaborait à la rédaction du magnifique Credo du Peuple de Dieu de Paul VI, et tel journaliste du Pèlerin reprochant au jésuite Bernard Sesbouë, qui n’est pourtant pas précisément un intégriste, de défendre la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Du point de vue de la foi, c’est parfois exact, hélas, et Jacques Maritain ne fut pas le dernier à dénoncer l’apostasie immanente, la « chronolâtrie » de bien des catholiques. Mais outre qu’il est aujourd’hui malaisé, en ces temps où l’autorité ecclésiastique n’est plus exercée qu’avec la timidité la plus extrême, de distinguer nettement l’hérésie formelle des résultats de la simple ignorance, ce n’est pas assez que de relever l’apostasie ou l’hérésie de certains catholiques de gauche pour en conclure qu’ils n’ont absolument rien en commun avec leurs ancêtres du temps de Pie XI.

Deux grandes figures cardinalices : les cardinaux Liénart et Feltin
Car il me semble que c’est bien de leurs ancêtres qu’il s’agit. « Je suis un évêque de Pie XI », disait le cardinal Liénart, évêque de Lille, qui n’était pas à proprement parler un chrétien de gauche, mais qui fut successivement le représentant le plus éminent de la génération d’évêques nommés dans le sillage de la condamnation de l’Action française, le grand promoteur d’une pastorale de conquête et de l’Action catholique spécialisée, le défenseur des prêtres-ouvriers et l’auteur du putsch décisif d’octobre 1962 lors du second concile du Vatican. Son confrère de Bordeaux, puis de Paris, le cardinal Feltin, sacré évêque la même année, en 1928, s’efforça quant à lui, au début des années 1950, d’épargner au journal progressiste La Quinzaine une condamnation épiscopale et se fit au Concile le défenseur de l’introduction du vernaculaire dans la liturgie. Si ni l’un, ni l’autre cardinal ne peut être vraiment désigné comme un catholique de gauche, l’évolution de leurs idées et de leurs pratiques pastorales, initialement inspirées par les grandes intuitions conquérantes de Pie XI, est cependant significative.

Aux origines de la presse catholique de gauche
Dans le domaine de la presse, la filiation intransigeante et intégraliste du catholicisme de gauche est également sensible. C’est à Sept et à Temps présent qu’il faut chercher les origines de La Quinzaine, comme le montre le rôle joué au sein de la presse catholique par Ella Sauvageot, qui administre Temps présent, puis, après-guerre, La Vie Catholique, tout en finançant La Quinzaine et l’Union des Chrétiens Progressistes. Georges Hourdin, après avoir travaillé à Temps présent, est l’une des grandes figures de La Vie Catholique, si durement attaquée déjà dans les années 1950 par l’abbé Victor-Alain Berto ou par Jean Madiran en raison de sa complaisance pour le communisme ; il se trouve également à l’origine de l’Actualité religieuse dans le monde, ancêtre de l’actuel Monde des Religions de Frédéric Lenoir.

A la gauche du catholicisme intégral de Pie XI
C’est encore dans le contexte de bouillonnement intellectuel et pastoral qui suit la condamnation de l’Action française et accompagne le lancement de l’Action catholique qu’apparaissent des groupes qui ont par la suite joué un rôle considérable dans la crise de l’Eglise, tels Jeunesse de l’Eglise, autour du dominicain Maurice Montuclard. Certes, ce dernier groupe a rapidement pris ses distances avec la pastorale de conquête promue par l’épiscopat français, et c’est au prix sans doute de bien des équivoques que se côtoient, au sein du mouvement catholique du temps de Pie XI, un P. Chenu et un abbé Guerry, futur archevêque de Cambrai et théoricien du mandat épiscopal. Il n’en reste pas moins que Jean Madiran, dans un entretien accordé à l’abbé Guillaume de Tanoüarn dans la revue Certitudes, désignait précisément Mgr Guerry, pourtant connu aujourd’hui comme le principal instigateur épiscopal français de la condamnation du progressisme, comme un évêque « foncièrement à gauche[1] » – l’on peut regretter cependant qu’il n’ait pas explicité beaucoup plus clairement ce qu’il entendait par-là.
C’est donc surtout de mouvements qui participent de l’intégralisme conquérant de Pie XI qu’est sorti le catholicisme de gauche contemporain. Contrairement à certaines idées reçues, il semble à l’origine assez largement étranger au modernisme théologique combattu par saint Pie X : ce n’est qu’ultérieurement qu’il a pris la coloration nettement moderniste qu’on lui connaît aujourd’hui.

Louis-Marie Lamotte




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Contre-débat est un espace de réflexion et de discussion. Tout le monde peut donc commenter les articles présentés, et ce, même de façon anonyme. Pour assurer la bonne tenue des discussions, les commentaires sont soumis à modération.

Ainsi, il est demandé à nos aimables lecteurs-commentateurs de veiller à l'orthographe de la langue française, ainsi qu'au respect de leurs interlocuteurs.