mardi 24 juillet 2012

Bref tour d’horizon de la discographie de Hasse (5) : Motets et antiennes mariales

Le cloître de l'hôpital des Incurables, institution pour laquelle Hasse composa la plupart de ses motets.

L’une des œuvres sacrées les plus célèbres de Johann Adolf Hasse est peut-être son Salve Regina en la majeur, écrit au début des années 1730 pour les Incurabili de Venise. On le retrouve dans deux enregistrements consacrés à la musique sacrée pour voix soliste du compositeur saxon. Cette musique d’abord plus aisé que les opéras peut également constituer une bonne introduction à l’œuvre de Hasse, d’autant plus qu’elle a bénéficié du concours d’interprètes de premier ordre. 

Salve Regina, par Reinhard Goebel, Musica Antiqua Köln, Bernarda Fink et Barbara Bonney

Le premier s’intitule Salve Regina ; il s’agit du disque enregistré par Reinhard Goebel, Musica Antiqua Köln et la mezzo-soprano Bernarda Fink chez Deutsche Gramophone et récemment réédité. Le programme allie agréablement musique sacrée et musique instrumentale ; il s’ouvre par la sinfonia introductive de l’opéra Cleofide (1731), première œuvre écrite pour Dresde par Hasse. Il s’agit d’une sinfonia à l’italienne en trois mouvements, pour cors, cordes, hautbois et basse continue. Musica Antiqua Köln s’y distingue par une interprétation flamboyante, qui donne tout son éclat à cette partition composée pour l’excellent orchestre dont disposait Hasse à Dresde.
Cette introduction orchestrale est suivie du Salve Regina en la majeur pour alto soliste et cordes. Il s’agit d’une antienne mariale dont le premier mouvement est écrit dans un style nettement galant, clair, lumineux, aux rythmes lombards caractéristiques ; la voix est introduite par une brève messa di voce expressive sur le mot Salve, qui permettait également de mettre en valeur les talents vocaux des élèves de l’hôpital des Incurables. L’Ad te clamamus est un adagio sensible, lui aussi typiquement galant, où la ligne vocale délicate traduit les soupirs du chrétien « in hac lacrimarum valle » vers la Mère de Miséricorde. L’Eja ergo se caractérise par l’usage de tempi alternés ; le courage que reprend l’âme s’exprime par de vigoureuses vocalises, tandis que la prière prend des accents plus lents et suppliants, appuyés par les motifs répétitifs des cordes. L’Et Iesum benedictum retrouve la tournure galante initiale pour louer la Vierge « clemens, dulcis, pia » ; Hasse reprend même la reprise de la messa di voce initiale (sur le mot Salve) avant de conclure l’antienne sur un ton tout à la fois serein et jubilant.
Le programme se poursuit avec la sinfonia de l’opéra Asteria (Dresde, 1737), d’allure plus nettement pastorale et galante que celle de la Cleofide, notamment dans le traitement plein de charme et de relief des cors et dans l’élégant mouvement andante central.
Le disque comprend ensuite le motet Chori angelici laetantes, probablement écrit à Venise dans les années 1730. Il s’agit ici également d’une composition écrite sur un poème latin qui exalte la valeur du repentir. Le premier air met en scène les chœurs angéliques et donne lieu à un traitement musical là aussi typiquement galant, avec une ligne vocale agile et élégante et un accompagnement instrumental simple et efficace. Suit un récitatif accompagné très théâtral, qui illustre le passage du mépris de la « pompe et [de] la vanité du monde » à la « brillante victoire du repentir ». Celle-ci débouche sur l’aria Bone Jesu, te quaerendo, qui mêle à l’expression du repentir celle de la confiance en Dieu ; elle se caractérise donc avant tout par sa douceur et par son caractère « sensible », avec ses longues vocalises expressives. Le motet se conclut par un Alleluia jubilant et virtuose.
A ce motet succède une nouvelle œuvre instrumentale, une fugue en sol mineur également attribuée à Franz Xaver Richter. Cette œuvre, d’assez vastes dimensions, manifeste un caractère entièrement différent des autres pièces que comprend le disque ; elle n’en est pas moins impressionnante et expressive.
Le programme s’achève enfin par un Salve Regina en mi bémol majeur pour soprano, alto, cordes, hautbois et basse continue. Cette antienne, composée en 1767, est une œuvre nettement plus tardive. Le premier mouvement est un duo introduit par une délicate ritournelle, clair et serein quoique légèrement mélancolique. Dans l’Ad te clamamus, air pour alto, l’élégance claire de la mélodie vient contraster avec les accents plus sombres des mots « gementes et flentes » et « in hac lacrimarum valle ». C’est cependant dans l’Eja ergo pour soprano que la prière se fait plus pressante, où les roulades de la soliste, l’agitation de la basse continue et les accents parfois plaintifs des cordes, suggèrent l’urgence de l’intercession mariale. Comme dans la version en la majeur, l’œuvre retrouve sa sérénité « galante » dans le duo final « Et Iesum » où le dialogue des deux voix permet de suggérer l’insistance de la prière.
Ce disque consacré à la musique sacrée pour voix solistes de Johann Adolf Hasse est tout à fait recommandable ; il bénéficie de l’interprétation éclatante, très vigoureuse et colorée de Musica Antiqua Köln, même si cette dernière tend parfois à trop forcer les tempi, notamment dans le Salve Regina en mi bémol. En revanche, si la soprano Barbara Bonney, dans le Salve Regina de 1767, est extrêmement convaincante, la mezzo-soprano Bernarda Fink, malgré sa justesse et son engagement, révèle peut-être un timbre un peu trop sombre, notamment dans la première aria du motet, pour une musique qui semble avant tout se caractériser par la clarté et l’élégance.

Motetti virtuosi, par Martin Gester, le Parlement de Musique, Jennifer Lane et Monique Zanetti

Le second disque est certainement l’une des plus belles réussites de la discographie de Johann Adolf Hasse. Gentes barbarae est un motet pour alto, cordes et basse continue. Dans la première aria, les silences, les ruptures de la ligne mélodique traduisent le trouble de l’âme et son combat, tandis que dans la seconde, « Vos o caeli », la mélodie suave, les douces vocalises, les lentes volutes des cordes imitent la brise sereine. L’Alleluia conclusif frappe par son élégance et sa joyeuse simplicité et par les commentaires presque badins que les cordes semblent faire du chant.

Le second motet, Alta nubes illustrata, pour soprano, cordes et basse continue, est plus immédiatement virtuose. La description du nuage illuminé par la lumière du soleil donne en effet lieu à une musique très aérienne, avec des cascades de vocalises redoutables. Dans le récitatif accompagné qui suit, l’âme passe de l’inquiétude à l’abandon à l’amour de Dieu, qu’exprime précisément la seconde aria « Caelesti incendi amoris », douce et chantante. Le motet se referme par un Alleluia qui retrouve l’envolée virtuose de la première aria.
Le programme comprend encore deux Salve Regina : la version en la majeur (voir plus haut) et une version en sol majeur. Celle-ci est peut-être l’une des plus belles mises en musique de l’antienne par Hasse. Après une ritournelle tout à la fois lumineuse, sensible et sereine, la voix fait son entrée dans une très longue messa di voce. La virtuosité est tout entière mise au service de l’illustration du texte, comme en témoignent les mélismes dont s’orne la répétition du mot « Salve », qui montrent l’âme ravie d’admiration devant la Mère de Dieu, toute pureté, humilité et douceur. Dans l’Ad te clamamus, la montée progressive des vocalises qui se déploient lentement suggèrent le cri de l’âme vers Marie. Comme dans la version en mi bémol majeur, l’Eja ergo est plus sombre et plus inquiet, mais vient se résoudre dans la quiétude d’un Et Iesum délicat et élégant.
Dans ce disque, l’intelligence et la beauté du programme bénéficient d’une très belle interprétation. Martin Gester, pour ces œuvres vénitiennes, a fait le choix d’effectifs légers (un violon par partie), ce qui permet de souligner la clarté et l’élégance des lignes mélodiques ; le choix des tempi ou des instruments de la basse continue (interventions ou silences du clavecin) est toujours judicieux. Les deux solistes, l’alto Jennifer Lane et la soprano Monique Zanetti, se montrent d’une grande justesse et tout à fait appropriées, par leur timbre tout comme par leur virtuosité et leurs qualités expressives, à ces lumineuses œuvres sacrées. Il s’agit donc d’un très beau disque que l’on ne peut que recommander, ainsi qu’une excellente introduction au génie du musicien catholique qu’était Johann Adolf Hasse.

Jean Lodez

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