jeudi 10 mai 2012

Va-t-on donner aux socialistes le droit de modifier la Constitution à leur guise ?

On ne soulignera jamais assez que la Ve République est avant tout un régime parlementaire. La mise en œuvre de la politique voulue par le Président et préparée par son Gouvernement est subordonnée à l’élection d’un Parlement favorable à ceux-ci. Ce n’est qu’une fois cette condition remplie que le rôle du Président prend toute son ampleur, et que celui du Parlement semble, par corollaire, fortement réduit. Ainsi, le Parlement n’est jamais aussi puissant qu’au lendemain d’une élection législative – ce qui est pour le moins paradoxal, puisqu’il n’a voté aucune réforme à ce moment précis. Ainsi par exemple, la réforme fiscale voulue par François Hollande sera à juste titre considérée comme ayant été élaborée par son Gouvernement en cas de victoire des socialistes aux élections législatives. Mais cette dernière condition aura été déterminante : toute défaite, au contraire, empêchera totalement qu’une telle réforme fiscale ne soit mise en place. Elle ouvrirait une période de cohabitation, dans laquelle le Président garde certains pouvoirs, notamment dans le domaine diplomatique, mais ne peut aucunement conduire la politique de la nation.[1]



A la lumière de ce rappel, les élections législatives des 10 et 17 juin doivent recevoir toute notre considération : à elles-seules, elles peuvent annuler ou confirmer pleinement le résultat de l’élection présidentielle de 2012. Si l’on s’en tient à une analyse stricte, elles sont donc plus importantes que ladite élection présidentielle.

Certes, la « majorité présidentielle » composée de socialistes, de verts et de communistes semble assurée de gagner une majorité à l’Assemblée nationale, notamment à cause de la dynamique qui suit invariablement l’élection d’un nouveau Président, et des triangulaires UMP – FN – PS, qui fragilisent toujours la droite parlementaire. L’UMP comme le Front national refusant toute alliance nationale, ces triangulaires ne manqueront pas de se produire et de provoquer l’élection quasi automatique de nombre de députés de gauche. Rappelons qu’il faut obtenir 12,5 % des inscrits (et non pas des suffrages exprimés) au Premier tour pour pouvoir se maintenir au second. Autrement dit, plus la participation baisse, plus le pourcentage de suffrages exprimés nécessaires à un maintien au deuxième tour est élevé, et réciproquement. Ainsi, en l’absence d’alliance entre UMP et Front national, l’abstention profitera nettement à l’UMP, tandis que la participation favorisera FN et PS.

Ces nombreux paramètres rendent donc très incertaine l’ampleur de la probable victoire de la gauche le 17 juin prochain. Pourtant, celle-ci a une grande importance, pour une raison simple : si la gauche conquiert la majorité des trois cinquièmes au Congrès (Assemblée nationale et Sénat rassemblés), elle pourra modifier la Constitution comme elle l’entend, grâce à l’article 89 de celle-ci. Or de nombreuses réformes, à notre avis très contestables, auront besoin de modifications constitutionnelles : la question du droit de vote des étrangers aux élections locales est un exemple certain. Plus encore, la gauche semble avoir une conception très particulière de la Constitution, qu’elle voudrait toiletter selon les modes et les tendances du moment : François Hollande ne souhaitait-il pas supprimer le mot « race » de l’article 1er (« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.”), pour des prétextes obscures et faussement antiracistes – puisque c’est bien la Constitution, en l’occurrence, qui est antiraciste. La gauche de Lionel Jospin avait déjà procédé à de telles opérations de déstructuration d’un texte qui pourtant, en 1958, avait une certaine allure. En 1999, le Gouvernement se sentit obligé d’affubler l’article 1 d’un second alinéa ne relevant pas de la grande littérature française : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ». Quiconque veut bien lire cet article en entier sent bien la rupture presque ridicule qui existe désormais entre les deux parties de ce texte inaugural : les grands principes définissant une République indivisible, qui assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi, se voient complétés d’une déclaration pratique et absconde visant à assurer des quotas de femmes pour les élections et dans les entreprises[2] ! La gauche semble dotée en la matière d’une inspiration inépuisable, si bien que lui laisser le pouvoir de modifier la Constitution reviendrait certainement à obtenir un texte n’ayant plus grand-chose de la solennité et de la réserve qui sied à sa position dans l’échelle des normes juridiques françaises.

Or le Sénat est à gauche ; celle-ci y compte 178 membres sur 348 sénateurs. A l’Assemblée nationale, elle compte 217 députés sur 577. La majorité des trois cinquièmes au Congrès correspondant à 555 parlementaires sur 925, il suffit à la gauche de gagner 160 députés aux élections législatives de juin 2012 pour obtenir ladite majorité, sachant que la composition du Sénat ne sera pas modifiée. La gauche (socialistes, communistes et verts) aurait alors 377 députés. A titre de comparaison, la droite en avait 472 en 1993, lors de sa plus grande victoire sous la Ve république. Il est donc largement possible pour les partis de gauche d’atteindre un tel objectif, même s’il n’est certainement pas facile à réaliser.

La droite a en son pouvoir d’empêcher presque sûrement que 160 circonscriptions ne basculent à gauche. Il lui suffit d’éviter au maximum les triangulaires, par des accords locaux de désistement – en faveur du candidat FN quand il est le mieux placé, en faveur du candidat UMP quand c’est l’inverse. En aura-t-elle le courage, ou préférera-t-elle, pour satisfaire l’intérêt personnel de tel ou tel, livrer la France et ses normes fondatrices aux désirs les plus fous de socialistes n’ayant même pas recueilli la majorité des inscrits aux élections présidentielles, et seulement 51,6 % des suffrages exprimés ?

Christian d’Aussois



[1] Ces faits découlent de l’article 20 de la Constitution :
« Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.
Il dispose de l'administration et de la force armée.
Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. »

[2] Qui plus est, sur le fond, cette disposition est politiquement un drame. Elle défavorise les petits partis en les obligeant à respecter une stricte parité dans leurs rangs, puisqu’ils n’ont pas les moyens de payer la taxe infligée en cas de non respect de la loi. A l’inverse, les grands partis préfèrent, et de loin, payer plutôt que de réserver 50 % des investitures aux femmes (il est vrai, indéniablement, que, bien que tout aussi compétentes que leurs homologues masculins, celles-ci sont moins nombreuses en politique).

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